France: Réaction aux déclarations du Sieur Dupaquier
Par
KARWERA SpérancieMaster en Sciences Sociales-Option
genre et développementAuteure d’une étude sur les
violences faites aux femmes (dont les violences sexuelles)Adresse: 12, Rue du Général de Gaulle, 95520 Osny,
Téléphone:
06 60 72 85 71Email: kares.uwera@gmail.com
Paris, 20 Février 2014
DE L’INITIATION SEXUELLE AU
RWANDA
Les questions portant sur la
sexualité au Rwanda, demeurent un sujet tabou si bien que l’on n’a pas
suffisamment d’études scientifiques qui traitent de la matière et qui
permettraient d’avancer une position aussi tranchée que celle émise par Jean
François Dupaquier par exemple.
Au niveau de la famille et
de la société rwandaise, le sexe et tout ce qui s’y rapporte ne fait pas objet
d’abondante littérature.
Les affirmations gratuites
du journaliste français, Jean-François Dupaquier, intervenant comme témoin non
assermenté lors du procès de Pascal Simbikangwa, le 10 février 2014, appellent
de ma part la réaction suivante que je voudrais partager avec mes compatriotes
rwandais et les amis du Rwanda.
Selon l’auteur précité, au
Rwanda "violer une Tutsi était un rite d’initiation chez les jeunes
Hutu". Cette déclaration dénote d’une méconnaissance des réalités
rwandaises, mais surtout elle est de nature à jeter un discrédit sur l’ensemble
d’un peuple.
Je réagis en tant que
rwandaise et en tant que mère surtout, car j’ai le devoir de transmettre à ma
progéniture les valeurs culturelles rwandaises.
Je n’ai aucune prétention de
détenir toutes les clés de cette culture, mais j’ai été formatée selon
l’éducation de base reçue de mes parents et de la société rwandaise. Jamais, je
n’ai entendu avancer une telle hypothèse d’initiation sexuelle des garçons hutu
sur les filles tutsi. Je crois tout simplement que cela ne peut être possible
dans un Rwanda où il n’y avait pas de démarcation territoriale entre les ethnies.
Et sur le plan
démographique, une telle affirmation reviendrait à faire croire que dans les
zones où il n’y avait pas de tutsi, les garçons hutu de
ces régions étaient condamnés à ne jamais connaître de relations sexuelle,
faute d’initiation ! C’est une aberration.
INITIATION A LA VIE
Au Rwanda, et en général
dans toute l’Afrique, l’enfant appartient à sa famille nucléaire, à la famille
élargie et enfin à la société, et chacun a le devoir de s’impliquer dans la
bonne éducation de cet enfant, qu’il soit fille ou garçon. De la même manière
que l’adulte a le devoir d’exemplarité vis-à-vis de l’enfant, il a aussi un droit
de regard sur le comportement de cet enfant, qu’il soit le sien ou celui du
voisin. Il n’est pas rare de voir un voisin administrer une raclée à l’enfant
d’autrui qu’il a trouvé en flagrant délit.
L’avènement des structures
modernes ont bouleversé nos vies et mœurs, mais il demeure établi que
l’éducation de l’enfant en tant que membre du groupe incombe d’abord à cette
communauté qui commence par sa famille restreinte.
Je ne voudrais pas trop
m’attarder sur les domaines d’intervention des adultes dans l’éducation de
l’enfant, mais je signalerais simplement que sur la colline, qui correspond au
village ailleurs dans les autres pays africains, les adultes veillent à la
bonne marche de la communauté en commençant dans la famille. Les valeurs de
base que les parents transmettent aux jeunes, c’est le respect des adultes, le
respect mutuel entre égaux, la protection de l’environnement, la protection des
animaux surtout ceux qui représentaient les totems du clan et l’observation des
lois du clan ainsi que les lois coutumières.
Plus tard, lorsque le droit
a été codifié avec l’arrivée du colonisateur et des religions musulmane et
chrétienne, on apprend au tout jeune le strict respect des lois et règlements,
cela passe par les dix commandements de Dieu et les décrets de l’Etat.
Dans le parcours de mon pays
le Rwanda, l’école est venue renforcer l’appartenance de l’enfant à un groupe,
mais les règles du jeu n’ont pas changé : on y apprend à se respecter et à
observer les lois, qu’elles émanent de l’église ou de la République.
INITIATION SEXUELLE
S’agissant de l’initiation
sexuelle, il faut faire remarquer que ce domaine est resté tabou jusqu’à nos
jours. Jamais les parents n’en parlaient, du moins en direct avec leurs
enfants. Ceux qui ont eu le privilège de fréquenter l’école n’étaient pas plus
avancés non plus car là bas aussi c’était le tabou complet et tout ce qui avait
trait au sexe était plutôt pris dans un sens caricatural. Cependant, les jeunes
étaient appelés à l’exercice de leur sexualité dans le respect de l’autre. On
nous a initiés publiquement aux travaux champêtres, à la bonne tenue de la
maison familiale mais jamais à la sexualité.
Néanmoins, les mamans, les
tantes, les grandes sœurs, avaient et ont toujours le rôle de conseillère des
filles que l’on prépare à la puberté. Les pères veillent quant à eux à
transmettre au garçon les valeurs qui feront d’eux les hommes de demain,
c'est-à-dire les dominateurs ! Mais cette ébauche d’éducation sexuelle prend
plutôt la forme de l’interdit vis-à-vis des filles. Il leur était demandé de se
présenter au mariage en étant vierges et en ayant accompli certaines
transformations de leurs clitoris dans le but bien compris de satisfaire
l’appétit sexuel de l’homme. Le regard de la société était très sévère envers
les filles (femmes) que l’on voulait parfaites au service des hommes. Il était
honteux et inadmissible d’avoir une fille mère dans une famille.
C’est pourquoi, dès
l’apparition des premières règles, les filles étaient informées que le moindre
contact sexuel avec un garçon pouvait la conduire à la catastrophe.
Les filles qui attrapaient
une grossesse en dehors du mariage étaient alors bannies de la société et on
allait les jeter dans la forêt ou on les exilait sur les îles des grands lacs
que compte le pays. Personne ne se souciait de savoir qui était l’auteur de la
grossesse de la fille. Le plus souvent d’ailleurs, c’était un membre proche de
la famille qui était responsable. On pourrait me demander comment les garçons
s’initiaient à la sexualité ! C’est en général au sein de la famille élargie
car la femme mariée appartenait toujours au clan. Ces pratiques prévalaient des
années avant l’arrivée de la colonisation qui a codifié les relations entre les
membres du groupe.
Affirmer que les jeunes
adolescents hutu s’exerçaient sexuellement sur les filles tutsi en les violant,
relève de l’imaginaire et du fantasme, car il y a beaucoup de conceptions
erronées qui accompagnent la sexualité des femmes rwandaises, en tentant de les
différencier sur base ethnique alors que ce que je viens de décrire plus haut
se passait indépendamment des ethnies qui partagent jusqu’à ce jour les mêmes
comportements culturels et sociaux.
Aussi, jusqu’à date, il
n’existe pas d'étude scientifique sur laquelle le journaliste Jean François
Dupaquier se soit référé pour nous convaincre du bien fondé de son assertion
qui est une injure grave contre la communauté hutu et qui sème la division au
sein de la société rwandaise. Cela rejoint les théories selon lesquelles les
Hutu sont nés « génocidaires » et qu’il y aurait un gêne de génocide dans leur
sang.
On ne peut non plus passer
sous silence la 2ème partie des allégations de Dupaquier, celle qui veut que
les filles Tutsi n'étaient pas vierges au mariage du fait d'avoir été utilisées
à ces rites. Si Dupaquier jette l'opprobre sur les Hutu qui, soit disant,
s'initiaient à la sexualité sur les filles Tutsi, il agit de même avec les
filles Tutsi.
"Les filles Tutsi
vivaient dans la peur du viol, nombreuses parmi elles ne parvenaient pas
vierges au mariage", ose affirmer Monsieur Dupaquier. Certes, depuis le
déclenchement de la guerre au Rwanda, en octobre 1990, les femmes rwandaises
ont payé un lourd tribut, car certaines ont été effectivement violées. Mais
toujours est-il que jusqu’à ce jour, il n’existe pas d’enquête approfondie pour
connaître l’ampleur de ce phénomène, présenté comme arme de guerre. Et il est
déplorable que ces crimes se
soient prolongés jusque dans
les camps des réfugiés hutu à l’Est de la République Démocratique du Congo et
que jusqu’à ce jour, il n’existe pas des mécanismes d’enquête pour établir les
responsabilités et poursuivre, devant une cour pénale, les auteurs de ces viols
massifs qui ont visé aussi nos sœurs congolaises.
Si Monsieur Dupaquier
voulait être crédible, il devrait s’émouvoir de tous ces maux et surtout
montrer où il a lu et entendu, dans quelle recherche il a appris que les filles
Tutsies non vierges l'étaient par le fait des Hutus qui les violaient lors des
"rites initiatiques".
Une parenthèse à l’attention
du lecteur, cette exigence de virginité lors du mariage n’était plus de mise,
la société rwandaise ayant fort évolué avec le droit colonial.
Ce genre de théorie
véhiculée par Dupaquier et les autres « experts autoproclamés » sur les
questions rwandaises est inadmissible et constitue une insulte contre tout un
peuple, une insulte contre mon peuple: le peuple rwandais toutes ethnies
confondues. C’est pourquoi, je me suis proposée de vous donner la présente
contribution.
Je reste à votre disposition
pour toute information supplémentaire.
Source: DHR