Rwanda : bilan mitigé pour la révolution verte
Par Fulgence
Niyonagize, Venant Nshimyumurwa
12-10-2012
(Syfia Grands Lacs/Rwanda) La réforme agricole de 2007 au Rwanda a permis d'augmenter fortement la
production globale du pays mais tous les agriculteurs ne s'y retrouvent pas.
Les uns n'arrivent pas à vendre leurs récoltes, d'autres ont aujourd'hui une
alimentation déséquilibrée. Découragés certains passent outre les directives
gouvernementales.
Ces agriculteurs du nord du Rwanda se disent déterminés à ne plus cultiver
de blé car ils n'ont pas vendu leur dernière récolte au prix escompté (420
Frw/kg, 0,8$) : ″Nous l'avons amenée au bureau de la cellule où elle devait
être vendue. Et voilà qu’on nous a demandé, une semaine après de venir la
récupérer faute de client″, se plaignent-ils.
Découragés, ils jurent aujourd'hui de résister aux directives
gouvernementales : ″Nous avons décidé de vendre notre blé à n’importe quel prix
pour l'écouler et cultiver par la suite des plantes qui nous procureront de
l’argent″.
Depuis que le gouvernement rwandais a lancé en 2007 une nouvelle
politique agricole, certaines récoltes devenues très abondantes ne se vendent
pas ou mal. La nouvelle politique a, en effet, régionalisé les cultures et
consolidé les terres afin de cultiver une seule plante sur de grandes étendues.
L'objectif, selon le gouvernement, est ″d’augmenter la production et de faire
passer les paysans d’une agriculture de subsistance à une plus
commerciale".
Intensifier la production
C'est sur ce volet "Intensification et développement des
systèmes de production durable" que le gouvernement a concentré ses
efforts. Il accapare 80% du budget consacré à l'agriculture, qui représente 6%
du budget total de l'État. Aménagement des marais, développement de
l'irrigation, mécanisation et gestion durable des ressources naturelles et
conservation des sols... le chantier est vaste. Ce programme vise à améliorer
la sécurité alimentaire de la population en augmentant la production vivrière.
Les autres 20% du budget servent à la professionnalisation des producteurs et
autres agents économiques et au développement de l’agri-business et de l'horticulture.
Pour atteindre ces objectifs, chaque province doit cultiver ce qui
a été décidé par le ministère de l’Agriculture en fonction des spécificités des
sols et du climat. Les paysans doivent aussi se réunir en coopératives où ils
cultivent ensemble et ont ainsi droit aux semences sélectionnées et intrants
subventionnés (ils ne payent que la moitié du prix).
"Durant les trois dernières années, grâce au quasi triplement
des récoltes de maïs, de blé, et de manioc, la production agricole nationale a
augmenté d’environ 14% par an, et les problèmes de disettes ne se remarquent
plus", se félicite aujourd'hui Agnès Kalibata, ministre de l’Agriculture.
Déséquilibres alimentaires
Mais certaines de ces productions, comme le maïs et le blé peu
consommés, traînent dans les greniers sans être payées au grand mécontentement
des paysans.
″Il ne suffit pas de dire qu’on adopte telle culture il faut aussi
expliquer aux simples gens pourquoi cette culture et non celle-là″, note un
cultivateur de Kinigi à Musanze. Celui-ci a du mal à comprendre pourquoi la
culture du sorgho, qui leur rapportait de l'argent depuis des années et évitait
la malnutrition dans la famille, a été supprimée. Depuis lors le sorgho est
devenu rare et cher (350 Frw(1/2$) contre 200 Frw) et dans certains cabarets,
les bières sont devenues d'étranges et dangereuses mixtures : ″umurahanyoni,
une bière frelatée composée d'un mélange du sorgho, d’engrais, d'alcools forts,
remplace la bière de banane et enivre à mourir ici″, dit Ujeneza Aloys du
centre de Gitare à Burera au Nord.
Les déséquilibres alimentaires s'accentuent dans certaines
régions. "Dans tous les ménages de ce secteur, on ne mange que la pomme de
terre. Pour acheter des haricots ou des légumes, il faut faire des kilomètres.
Alors qu’avant chacun en avait dans sa parcelle", déplore un habitant du
district de Musanze. Et ces denrées qui viennent de loin coûtent souvent cher.
"On remarque une élévation des prix pour les produits dont la culture
n’est plus permise localement et qui sont importés d’ailleurs", constate
Jean Pierre Mpakaniye du syndicat Imbaraga, une fédération des agriculteurs et
éleveurs du Rwanda.
C'est ainsi aussi que le succès de la production de maïs dans les
marais a fait grimper le prix des légumes qui y étaient jadis cultivés et qui
sont devenus rares. Les commerçants viennent les acheter pour les vendre dans
les supermarchés et grands marchés comme à Kigali.
Si l'objectif d'augmenter la production globale est atteint, cette
révolution verte pèse souvent sur l'alimentation des familles paysannes et le
revenu des agriculteurs qui ne souhaitent qu'une chose : qu'à défaut de pouvoir
manger leurs récoltes, le prix de vente de celles-ci couvre leur travail et
leurs dépenses.
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