Tuesday, April 12, 2022

Rwanda: Problématique de l'ouverture de l'espace politique

Par Emmanuel Neretse
Bruxelles, Belgique
Le 12 Avril, 2022

Carte Politique du Rwanda

Nécessité

Depuis sa conquête militaire du Rwanda, l'organisation politico-militaire du FPR regroupant les éléments tutsi de l'armée régulière de l'Ouganda, règne en « maître absolu” sur ce pays. Non seulement le régime incarné par Paul Kagame ne tolère aucune contradiction mais aussi se distingue depuis 28 ans par des violations massives et répétitives des Droits de l'Homme en toute impunité. La population rwandaise qui avait goûté à la Démocratie et connu la Liberté depuis 1959, ne comprend pas ce qui lui est arrivé pour retomber sous le joug des féodo-monarchistes qui ont recouvré le droit de vie ou de mort sur eux depuis 1994, comme au 19è siècle avant l'arrivée des colonisateurs européens qui avaient aboli ce droit depuis 1930. Le recouvrement de la liberté par le peuple rwandais passe donc nécessairement d'abord par une ouverture de l'espace politique par la clique du FPR qui a pris ce peuple en otage.

Entraves

Bien entendu les entraves à cette ouverture de l'espace politique souhaitée par le peuple rwandais sont nombreuses. Mais nous en retiendrons trois d'entre elles.

- Nature du FPR

Le groupe politico-militaire et terroriste du FPR qui s'est emparé du Rwanda en 1994, est de nature à ne pas favoriser l'ouverture politique dans le pays conquis. Non seulement les conquérants appartenaient à l'armée de l'Ouganda d'où ils sont venus, mais ils restent ultra-minoritaires dans le pays de 12 millions d'habitants tout en étant les seuls détenteurs du pouvoir, du savoir et de l'avoir au Rwanda.

Pour les plus radicaux parmi eux et nostalgiques de la féodalité d'avant 1959 (comme: Tito Rutaremara, François Ngarambe, Denis Polisi, Antoine Mugesera, etc.), l'ouverture de l'espace politique serait synonyme de se faire “Hara-kiri”. Or ce sont eux qui tracent la ligne politique du pouvoir en place.

- Arsenal juridique déployé pour fermer l'espace politique

Le premier mûr que les conquérants du FPR ont érigé après la conquête du pays en 1994, fut de suprimer le multipartisme qui avait été instauré en 1991 et qui lui avait permis d'avoir des alliés politiques à l'intérieur du Rwanda. Il commencera par désigner lui-même parmi les partis politiques existants ceux qui pouvaient continuer à exercer leurs activités politiques. Et même les heureux partis admis devaient accepter que c'est le FPR qui désignerait leurs leaders. Et ceux qui en étaient offusqués furent tout simplement dissous et interdits au Rwanda: cas du MDR de FaustinTwagiramungu. Bien plus, les partis autorisés devaient entrer dans une même locomotive politique et prêter serment de ne jamais s'opposer au FPR et adhérer ipso-facto dans ce que le régime appelle : “Forum des partis politiques”. Le parti qui refuserait d'y entrer serait automatiquement dissous et interdit au Rwanda. En clair, ces soi-disant partis devenaient en réalité des sections ou des courants au sein du Parti-Etat qu'est devenu le FPR et qui le reste 28 ans après. C'est le cas du PSD, PL, Green Party, et autres PDC et PDI, PS-Imberakuri / Mukabunane.

Et pour la consommation externe, le régime du FPR assure que le multipartisme est autorisé au Rwanda. Mais à considérer les conditions à remplir pour qu'un nouveau parti soit admis et inscrit, c'est pire que dans un système politique de monopartisme institutionalisé. En effet, un politicien qui voudrait créer un parti politique et le faire enregistrer doit entre autres préalables fournir une liste des dizaines de membres potentiels dans chacun des 30 districts du pays. Mais en même temps ce même politicien est interdit de parcourir le pays et surtout de réunir plus de deux personnes pour parler politique. C’est ce qui s'appelle: “demander une chose et son contraire” la spécialité du régime FPR de Kagame.  Celui qui passerait outre pour réunir ses adhérants, est passible de lourdes peines de prison. Et plus d'un aspirant fondateur de parti en a fait l'amère expérience: 10 ans de prison pour Pasteur Bizimungu et Charles Ntakirutinka, 20 ans de prison pour le Dr Niyitegeka Théoneste, 15 ans de prison pour Madame Victoire Ingabire Umuhoza, 1 an de prison pour Mademoiselle Diane Rwigara, etc.

Le comble du ridicule est qu'à l'approche des échéances de ces mascarades électorales, le Parti-Etat FPR crée des partis politiques ex-nihilo et bidons à qui non seulement il prête des membres pour remplir les conditions légales et réglementaires fixées par lui, mais aussi ses leaders sont choisis par les échelons du FPR. Et ce sont ce genre de partis qu'il présente à l'opinion international en disant  qu'il existe des partis autres que le FPR et que leurs leaders sont des challengers de ceux du FPR dans des soi-disant élections législatives et même présidentielle dans lesquelles Paul Kagame doit être élu au moins à 98%. Souvent d'ailleurs ces partis déclarent avant ces élections que leurs seul candidat est Paul Kagame!  Faute de candidats résidents au Rwanda-même, il arrive quelque fois à Paul Kagame d'aller chercher des “Sans Domicile Fixe (SDF) errant dans les villes d'Europe et forcément inconnus au Rwanda, pour les mettre sur les bulletins de vote comme candidats contre lui. Bien sûr après la mascarade électorale, et avec ses 99% des voix, il leur gratifie de petits postes-bidons dans le système FPR pour qu'enfin ils mangent à leur faim au moins une fois par jour et aient un coin pour se planquer en dehors des ponts et caniveaux des fleuves et villes européennes. Cas d'un certain P.M. en 2017.

- Prétextes et tentatives de justification

Le Parti-Etat FPR de Paul Kagame justifie cet état de fait (fermeture de l'espace politique) de plusieurs façons et selon les publics-cibles de ses messages.

*Pour les puissances occidentales qui lui ont offert le Rwanda, les lobbies médiatiques pro-tutsi et qui dirigent cet Occident doivent répandre que la démocratie et le multipartisme sont permis au Rwanda de Paul Kagame. Et de brandir le Code ésotérique qui fait office de Constitution et qui est régulièrement adapté aux caprices de Paul Kagame et de la clique tutsi qui règne avec lui sur un pays militairement conquis en 1994. 

*Les idologues et pseudo-intellectuels du FPR ont pour mission de faire comprendre aux milieux intellectuels de l'Afrique Occidentale et de l'Occident en général (Journalistes, Chercheurs, Universitaires, etc.) que le FPR de Paul Kagame a constaté que la Démocratie à l'occidentale n'est pas adaptée à l'Afrique et au Rwanda en particulier.  Que donc sa trouvaille est un coup de génie de la clique tutsi autour de Kagame qui règne sur le Rwanda depuis 1994. Mais que plutôt on devrait le louer et lui attribuer le «Prix Nobel” pour avoir inventé un nouveau système politique qui a remplacé “celui de l'Occident et qui a réussi et marche à merveille au Rwanda.” Ce système s'appelle… “Dictature!”. 

*Enfin, pour le peuple rwandais conquis et soumis encore aux seigneurs tutsi, ceux-ci lui fait comprendre que “ayant arrêté le génocide des tutsi en 1994, le FPR ne peut pas permettre à quiconque au Rwanda de critiquer sa politique ou son action sous prétexte de pluralisme politique. C'est pourquoi celui qui oserait le critiquer ou réclamer un changement, la même clique tutsi du FPR le considérerait comme un “génocidaire” et alors serait traité comme tel.

Facteurs favorisants

Malgré les entraves à l'ouverture de l'espace politique que nous avons évoquées ci-haut, des facteurs favorables ou des circonstances incontournables appellent chaque jour davantage à cette ouverture.

- Ras-le-bol du citoyen moyen

Même baillonné et soumis, le peuple rwandais souffre en silence mais sa frustration est grande et à certaines rares occasions, il exprime son ras-le-bol même au rique d'une répression féroce et brutale:

*Cris des habitants du quartier Kangondo-Bannyahe dans Kigali dont le quartier fut rasé sans indemnisations afin de permettre à un officier du FPR devenus entepreneur en bâtiments d'y ériger des immeubles et subsidiairement “nettoyer” la capitale en y chassant les pauvres en préparation du sommet du Commonwelth qui était prévu pour 2020.

*L'audace des Youtubeurs qui osent dénoncer dans les réseaux sociaux les crimes de Paul Kagame et sa clique. Les empisonnements et les disparitions forcées de certains ne découragent pas ceux qui restent. Un signal fort.

*Dans le Rwanda de Paul Kagame que la presse de l'Afrique occidentale et des puissances qui l'ont créé et installé au Rwanda louent le régime car aucune manifestation de mécontentement ne pourrait s'y produire, les motards de la capitale Kigali ont quand-même bravé cet interdit et ont manifesté. Un autre signal fort.

- Accès à l'information par tous et partout

Le régime du FPR de Kagame contrôlant tout et espionant chaque citoyen jusqu'au lit conjugal, croyait s'être doté des outils suffisants de répression et donc de domination du peuple. Mais l'évolution technologique et la mondialisation lui jouent des tours depuis quelques années. En effet, tout fait ou événement qui se passe à n'importe quel coin du pays peut être connu en temps réel par le monde entier sans que Kagame ait donné son aval ni puisse le censurer. C'est toujours après coup qu'il se rabat sur des lampistes en les emprisonnant ou en les faisant disparaître pour les faire injustement payer en les qualifiant “d'ennemis du Rwanda”. A se demander de quel Rwanda il parle.

- Gêne et contradictions de puissances prêchant le pluralisme et la démocratie mais soutenant la dictature de Kagame

Les puissances occidentales qui ont créé Kagame et qui lui ont offert le Rwanda en 1994 et puis les puissants lobbies du monde qui se chargent de le soutenir, de lui assurer l'impunité pour ses crimes commis au Rwanda et dans la région, sont de plus en plus génés par les contradictions auxquelles ils doivent se soumettre pour justifier leur attitude envers le potentat tutsi qu'est Kagame. Comment en effet, peut-on exiger la démocratie et le pluralisme et en même temps vanter le népotisme et la dictature de Paul Kagame comme modèle?  C'est cette schizophrénie qui fait monter l'anti-occidentalisme et en premier le sentiment anti-français dans la jeunesse et les forces vives des pays africains.

Piège « à cons”

Nous qualifions de “piège à cons”, le réflexe de certains pseudo-politiciens rwandais qui consiste à perséverer dans l'idée que ceux qui souhaitent le changement au Rwanda devraient obligatoirement suivre le même chemin qu'a suivi le FPR pour conquérir le pays et y monopoliser le pouvoir. Leurs réflexes sont sans nuance et toujours brutaux, comme:

-Prendre ceux qui réclament seulement l'ouverture politique comme des “faibles” aux revendications minimalistes et à la limite des “complices ou agents du FPR”.

-Traiter de “complices ou agents du FPR” ceux qui essaient de tranquilliser le FPR que l'ouverture de l'espace politique couronnée par des élections libres et transparentes éviterait aux différents courants en son sein de se massacrer car ils seraient départagés par ces élections.

-Se convaincre et tenter de convaincre les autres que le renversement du FPR, de préférence par les armes, doit nécessairement précéder le règne de la Démocratie au Rwanda.

Logique de la demande de l'ouverture de l'espace politique au Rwanda du FPR

Quand un régime dictatorial et monolithique juge que les résultats de toute election sont connues d'avance (donc en sa faveur) il ouvrira d'autant plus volontier et rapidement l'espace politique.

 

Dans ce cas, la balle est dans le camp des nouveaux joueurs admis sur le terrain pour d'abord convaincre leurs adhérants et exiger un arbitrage impartial.

But final

Le but final de la démarche est d'amener le régime à accepter un tant soit peu quelques pratiques démocratiques: le pluralisme et les élections libres. Ceci comprend la garantie de donner la parole au peuple pour se choisir les dirigeants et le système politique de sa préférence du moment. Mais au préalabre, il ne faudrait pas effaroucher la clique au pouvoir quoique minoritaire dans la population. Et pour cela il ne faudrait pas agiter avant cette ouverture attendue qui devrait aboutir aux élections libres, le spectre d'un vote ethnique qui éliminerait d'avance la clique tutsi minoritaire.

Cas d'école et leçon à en tirer: le Burundi sous le régime du Major Buyoya.

Au Burundi pays voisin et “jumaux” du Rwanda (presque même superficie, même nombre d'habitants, même composition ethnique de leurs populations, même langue, etc.), l'ouverture de l'espace politique fut opérée en 1991 suite au “vent de La Baule”. Le régime du Major Pierre Buyoya et l'armée monoethnique tutsi, avaient des assurances que ce ne serait qu'une formalité pour répondre aux injonctions de Mitterrand comme le faisaient d'autres régimes en Afrique. Ceci permit au Major Buyoya de jouer franc-jeu. Il a permis et enregistré tous les partis qui naissaient, même ceux qui étaient ouvertement opposés à son régime et qui le prêchaient.

En juin 1993, il a organisé des élections libres et transparentes dont les résultats furent surprenants. Le parti Sahwanya-FRODEBU de l'inconnu Melchior Ndadaye fraîchement rentré d'un exil de 15 ans, en sortit vainqueur avec une majorité absolue à la nouvelle Assemblée Nationale et Melchior Ndadaye fut élu Président au premier tour avec plus de 63% des voix.

Malheureusement les ressentiments et le complexe de supériorité des officiers de l'armée monoethnique tutsi ont abouti au drame d'octobre 1993 et à ses suites et conséquences.

Moralité: Si le régime du Major Buyoya et son armée monoethnique tutsi avait été effarouchés en brandissant le vote ethnique, il n'aurait pas ouvert l'espace politique. Et même s'il le faisait, il n'aurait pas assuré le déroulement des élections libres et transparentes et aurait tout fait même en trichant ouvertement, pour les “gagner”.

Face à un régime dictatorial comme celui du FPR de Kagame au Rwanda, pour quiconque souhaiterait que la voix du peuple s'exprime librement afin de choisir quel système politique il préfère et quels sont les dirigeants qu'il se choisit, ce serait une faute stratégique grave que de commencer à prêcher que la clique n'aurait aucune chance d'être élue dans ce pays. Ce serait un appel à cette même clique pour qu'elle se recroqueville sur elle-même au lieu de consentir à cette ouverture de l' espace politique tant souhaitée.

Conclusion

En guise de conclusion, nous paraphrasons le plus talentieux artiste-compositeur et poète de sa génération, le regretté Simon Bikindi (RIP), dans une de ses oeuvres les plus célèbres au titre de: Akabyutso”. 

A partir de la 18è minute et 21 secondes il dit en effet: “Allons aux élections. Si c'est un Hutu qui est élu, acceptons qu'il nous dirige. Si c'est un Tutsi qui est élu, acceptons qu'il nous dirige. Et si c'est un Twa qui est élu, acceptons qu'il nous dirige. C'est ça la vraie Démocratie que veut le peuple”.

Mais encore faut-il que le pouvoir en place accepte d'organiser de telles élections libres et transparentes afin de permettre au people rwandais (hutu-tutsi-twa) que Bikindi appelle “Bene Sebahinzi” de se prononcer et de choisir leurs dirigeants.

Aux politiciens d'oeuvrer à ce que ces conditions soient un jour remplies et qu'enfin le peuple souverain retrouve ses prérogatives et droits.

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