Rwanda: Compte à rebours pour Kagamé ?
Par Boniface MUSAVULI
AGORA VOX
30 juillet 2012
Les Rwandais peuvent commencer à intégrer l’idée d’un Rwanda sans Paul Kagamé. L’homme qu’ils ont autant aimé que détesté est sûrement plus proche de la sortie que de l’accession au pouvoir. Même si son départ n’est pas encore acquis, un cap vient d’être franchi dans les rangs de ses plus fermes soutiens que sont les Anglo-Saxons. En déclenchant une énième guerre au Congo pour entraver l’arrestation du criminel de guerre Bosco Ntaganda, le Président rwandais a commis le geste de trop.
A Kigali, comme d’habitude, on multiplie les démentis en assurant que le pays n’est pas impliqué. Mais il y a longtemps que la parole des autorités rwandaises sur le Congo n’inspire plus la moindre crédibilité. Le Rwanda est même devenu le repaire des criminels figurant sur la liste actualisée de la Cour Pénal Internationale [
1], ce qui ne les empêche pas de continuer à déverser des hordes de combattants sur le Kivu pour assurer le drainage vers Kigali des minerais de sang. La clémence des Occidentaux semble maintenant épuisée, et on ne prend plus de gants pour critiquer le comportement des dirigeants rwandais.
Les Etats-Unis, longtemps l’allié indéfectible du régime, ont donné le ton en annonçant la suspension d’une enveloppe de 200.000 $ destinée au financement d’une école militaire au Rwanda. Le montant est faible mais le symbole est fort. D’autant plus qu’avant d’annoncer cette suspension de l’aide militaire, ils avait autorisé la publication du rapport des experts des Nations Unies accusant des hauts gradés de l’armée rwandaise d’avoir fourni des armes et des combattants aux rebelles du mouvement M23. Que les noms des dirigeants rwandais soient ainsi jetés en pâture, avec l’accord des Etats-Unis, c’est une première.
D’autres alliés du Rwanda n’ont pas tardé à emboîter le pas aux Américains. Les Pays-Bas ont annoncé la suspension d’une aide de 5 millions d’euros destinée à l’amélioration de l’aide judiciaire. La Grande Bretagne suspend le versement de 25 millions de dollars prévu ce mois-ci et l'Allemagne suspend le versement de 26 millions de dollars prévu sur les trois années à venir. On a touché le talon d’Achille du régime car le Rwanda ne peut pas se passer de l’aide que lui apportent chaque année les bailleurs occidentaux. Son budget dépend pour moitié de l’aide extérieure.
Mais il y a pire. Non seulement le retrait du soutien financier sonne comme un désaveu et pourrait avoir de graves répercussions sur la relative paix sociale, mais surtout des menaces directes sur la personne du Président sont, pour la première fois, assénées. Ainsi, l’ambassadeur américain chargé des crimes de guerre au Département d'Etat, Stephen Rapp, a affirmé au journal britannique The Gardian, que le Président rwandais pourrait être poursuivi devant la Cour Pénale Internationale pour son soutien à la rébellion du M23. Il a évoqué la « jurisprudence » Charles Taylor, ancien Président Libérien, aujourd’hui en prison à La Haye pour avoir soutenu les rebelles du RUF responsable d’atrocités en Sierra Leone. Et de rappeler que Charles Taylor n’avait jamais mis les pieds en Sierra Leone, mais en fournissant de l’aide aux rebelles en échange des minerais de sang, exactement comme le fait le régime de Paul Kagamé avec les rebelles dans l’Est du Congo, il s’est rendu coupable de complicité de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le Rwanda est en effet la plaque tournante du trafic des minerais de sang pillés dans l’Est du Congo au prix de graves exactions dont des massacres et des viols de masse.
La difficulté pour le régime de Paul Kagamé, c’est qu’il ne peut pas se passer du pillage de l’Est du Congo. C’est un grand pays mais mal gouverné et le désordre dans le secteur minier alimente toutes les tentations. De vastes territoires gorgés de minerais échappent totalement au contrôle du gouvernement de Kinshasa. En face, un Rwanda privé de ressources naturelles, mais qui s’est dotée d’une petite bourgeoisie habituée à tirer profit des trafics de l’Est du Congo. Le confort de cette petite élite ne dépend pas de la générosité des bailleurs de fonds, et les menaces de Washington, Londres, Berlin, n’ont pas de prise sur eux. Les autorités, elles-mêmes, ont les mains liées. Même quand on s’appelle Kagamé, on ne se met pas à dos autant de notables en les privant de leur manne du Kivu.
Ainsi, même si le régime renonce à prendre part au pillage, ça ne changera rien au problème. Trop de Rwandais en dépendent. La solution serait que le gouvernement congolais reprenne le contrôle de l’ensemble de ses territoires et mette de l’ordre dans le secteur minier. Mais il ne peut y arriver que si le Rwanda cesse de déverser des centaines de combattants et des tonnes d’armes dans l’Est du Congo. C’est tout ce qu’on essaie de faire comprendre au Président rwandais. Car les risques judiciaires se précisent.
Dans tous les cas, pour les Congolais, la fin du régime de Paul Kagamé est annoncée pour être célébrée avec liesse. Ce régime aura tellement infligé de souffrances et d’humiliations aux Congolais qu’il passe pour être la pire catastrophe de l’histoire du Pays de Lumumba. Les guerres à répétition que l’Homme fort de Kigali y a menées (avec ou sans ses alliés ougandais et burundais) ont saigné le peuple congolais comme jamais (six millions de morts) et ruiné le pays pour très longtemps. Mais le Congo l’aura vraiment échappé belle. Même si des inquiétudes persistent, la fin du règne de Kagamé sera synonyme de répit par rapport au risque tant redouté, d’annexion du Kivu par le Rwanda ou de balkanisation. La taille du Congo l’a sûrement sauvé. Le Congo est en effet un mastodonte, grand comme l’Europe de l’Ouest et quatre-vingt-dix fois plus vaste que son cauchemardesque « petit voisin ». Même malade, il est difficile à tenir militairement d’un bout à l’autre.
Les campagnes militaires rwandaises au Congo rappellent étrangement les campagnes de Russie. Les troupes napoléoniennes, puis hitlériennes se sont cassé la figure, non pas parce qu’il y avait en face une armée russe redoutable, mais tout bêtement parce que le pays était trop vaste pour être conquis militairement. Dans les interminables forêts du Congo, comme dans les vastes terrains vagues de Russie, de nombreuses expéditions militaires se sont éteintes sans avoir tiré un seul coup de feu (malaria, froid, morsures de serpents,…). Et le Rwanda, financièrement, n’a pas les reins assez solides pour mener indéfiniment des campagnes militaires dans cet immense pays.
La générosité des bailleurs se justifiait par le risque que représentaient les FDLR, dont certains sont soupçonnés d’avoir pris part au génocide rwandais de 1994. Et le régime de Paul Kagamé avait fondé sa légitimité et justifié ses campagnes militaires au Congo par la lutte sans relâche contre les FDLR. Depuis quelques années, les experts affirment que les FDLR ne représentent plus une menace sérieuse pour la sécurité du Rwanda. Ainsi, comme Mobutu, l’anticommuniste acharné qui n’a plus servi à rien après la chute du Mur de Berlin, Kagamé risque de ne plus servir à rien puisque la menace des FDLR n’est plus perçue comme suffisamment importante pour continuer à soutenir son régime de plus en plus autoritaire. Le Rwanda peut passer à la phase suivante, la démocratisation, par exemple. Mais elle ne peut s’opérer qu’à condition que le dictateur s’écarte du pouvoir.
Reste à savoir si l’intéressé est disposé à se laisser faire. En effet, après plusieurs années à la tête du pays, entouré de « gens dociles » qui font des courbettes et qui racontent au dictateur ce qu’il a envie d’entendre, genre « tout va très bien, Madame la Marquise », celui-ci se prend progressivement pour un dieu. Il ne comprend pas qu’on puisse un jour contester son pouvoir, notamment de l’extérieur. Trop souvent, il réagit de la pire des manières, en jouant les jusqu’au-boutistes. Une attitude qui risque de pousser le peuple ou la communauté internationale à devoir utiliser de gros moyens pour liquider l’ensemble du régime.
On n’en est pas encore là, mais le compte à rebours semble irrémédiablement amorcé.
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