Victoire Ingabire Umuhoza : La Aung San Suu Kyi Rwandaise
Aung San Suu Kyi et Victoire Ingabire Umuhoza ont quelque chose en commun. La première est une figure de l’opposition non-violente contre la dictature en Birmanie, Prix Nobel de la Paix en 1991. La seconde est une figure de l’opposition non-violente contre la dictature au Rwanda. Elle est prisonnière politique comme sa collègue birmane.
By Ben MighaniSite de Musabyimana Gaspard
Kigali, le 4 novembre 2010
L'histoire des Peuples nous apprend qu’aucune Nation n’a pu être construite sans le courage, l’abnégation, l’engagement, et parfois même le martyre de certains de ses filles et fils. Engagement contre l’injustice, l’oppression, les inégalités, le racisme et la ségrégation, l’abus des libertés fondamentales, etc.
Martin Luther King en Amérique, le Mahatma Gandhi en Inde, Nelson Mandela en Afrique du Sud et, plus près de nous au Congo, Patrice Emery Lumumba, pour ne citer que ceux-là.
Dans l’histoire du Rwanda, dont je n’ai pas la prétention d’être spécialiste, il y a certainement eu des hommes et des femmes qui, à un moment donné, ont levé leurs voix, leurs armes, ou versé leur sang pour une cause plus grande que leur personne. Que ce soit dans la lutte pour la préservation ou l’expansion du territoire du Rwanda ancien, l’opposition à la pénétration coloniale et à la traite des Noirs, et plus tard dans la lutte pour la fin de la ségrégation, l’acquisition de l’indépendance, la lutte contre les dérives dictatoriales de la Deuxième République, etc. Il n’est point de doute que de telles personnes aient existé et aient contribué, qu’on le veuille ou non, à notre existence et à notre dignité en tant que Nation.
Les plus connus d’entre eux ne sont pas forcément les meilleurs, ni peut-être les vrais. Aujourd’hui un monument est dédié aux « héros nationaux », mais je doute que tous ceux qui ont reçu cet honneur l’aient mérité si l’on avait demandé aux Rwandais de donner librement leur avis. Comme quoi être désigné « héro national » au Rwanda et ailleurs peut souvent découler non pas de la réalité objective et de l’opinion partagée de la communauté, mais d’une décision politique destinée à louer, voire à amadouer les mérites supposés ou réels d’un compagnon de lutte, un ami ou un proche. Ce qui fait que les « héros » changent parfois avec les régimes, ceux d’aujourd’hui devenant les Interdits, les Lâches de demain…
Les vrais héros ne dépendent pas de l’honneur public qu’on leur fait ou qu’on leur nie. Ils transcendent la succession des régimes et des générations, et lorsqu’un Peuple a atteint la maturité, ils sont unanimement honorés et respectés. Et malheureusement, très peu le sont de leur vivant.
Au Rwanda, il ne fait aucun doute que l’année 2010 marque la fin d’une époque, très courte hélas : celle pendant laquelle l’un des régimes les plus sanguinaires de l’histoire de l’Afrique, si pas de l’humanité, a présidé impunément et sans mesure au destin des Rwandais et d’autres peuples de l’Afrique des Grands Lacs, parvenant de façon étonnante mais honteuse à manipuler la quasi-totalité de l’opinion internationale pour la faire adhérer à sa propagande d’un régime pacifiste, unificateur, démocratique et progressiste.
En effet, quinze ans durant, sans doute sous l’aura d’un génocide face auquel la Communauté internationale est resté impassible, le régime du général Paul Kagame a imposé une image presque parfaite de ses politiques et a obtenu faveurs, fonds et trophées des bailleurs de fonds, des médias et, plus généralement de l’opinion internationale. Quand ses forfaits sont apparus au grand jour, le monde entier a fermé les yeux et les oreilles « pour ne pas froisser un allié fidèle, un élève exemplaire, une victime pure de la barbarie de 1994 et un héro qui a arrêté à lui tout seul un terrible génocide ». Cela s’est produit avec l’entrée au Zaïre des troupes de l’APR, avec la bénédiction de certaines puissances occidentales pour détruire les camps des réfugiés et, simultanément, chasser l’indésirable Mobutu de son trône. Cela s’est produit avec le soutien direct et manifeste du Rwanda aux rébellions successives à l’Est de la RDC,notamment le RCD d’Azarias Ruberwa et le CNDP de Laurent Nkundabatware. Cela s’est produit, toujours au Congo, avec le pillage en règle des minerais et d’autres ressources naturelles de ce pays durant une dizaine d’années. Mais cela s’était déjà produit auparavant avec des massacres à grande échelle de populations civiles sans défense au Rwanda (Kibeho, Byumba, Ruhengeri, Kanama, etc.). A chaque fois, personne n’a levé le petit doigt. Ceux qui ont osé se sont vite entendus rappeler « à l’ordre », des rapports ont simplement disparu et des individus ont perdu leurs postes.
On se souvient des affaires du TPIR d’Arusha et des audaces de quelques Procureurs pour poursuivre des membres du FPR soupçonnés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, ou encore pour faire la lumière sur l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, de son homologue burundais et de leur équipage. On se souvient aussi des rapports de l’ONU sur les crimes du Congo qui ont été envoyés aux oubliettes, …
Mais comme cela se passe pour tous ceux qui bâtissent leur œuvre sur le mensonge, la répression et la propagande, le début de la fin devait arriver. Et le début de la fin est arrivé avec, principalement, le retour de Victoire Ingabire Umuhoza au Rwanda. Une femme d’un courage extraordinaire, d’une détermination insoupçonnée, et d’un patriotisme exemplaire !
Lorsqu’elle avait annoncé son intention de retourner faire la politique au Rwanda, avec dans son agenda l’enregistrement de ses Forces Démocratiques Unifiées et la participation à la présidentielle d’août 2010, d’aucuns le prenait pour de la plaisanterie, Kagame le premier, sans doute. Quelle ne fût la surprise (et la désillusion) lorsque, le 16 janvier, l’avion qui l’amenait d’Amsterdam atterrît à l’aéroport international de Kanombe ! Et aussitôt arrivée, elle n’a pas censuré son discours comme certains auraient pu imaginer. Elle a déclaré haut et fort ce qui la ramenait au pays : « libérer les Rwandais de la peur ; mettre fin à l’oppression et à la dictature ; rétablir la justice et la vérité historique ; concourir pacifiquement mais vigoureusement à la conquête du pouvoir ». Puis elle est allée s’incliner devant le mémorial du génocide de Gisozi, et là ses propos ont été récupérés, déformés à gré, et les chaînes se sont brisées. Elle a été accusée de tout : négationnisme, idéologie de génocide, révisionnisme, incitation à la haine, etc.
Comme l’annonce de son retour avait été prise à la légère, la machine répressive a pris du temps avant de se mettre en marche (sinon elle aurait été arrêtée à son arrivée même à l’aéroport comme ce fût le cas pour le religieux belge Guy Theunis ou pour de nombreuses autres personnalités arrêtées ou enlevées dès leur retour d’exil). Il a fallu tout concevoir. Et la tâche était d’autant plus ardue que tous les yeux étaient braquées sur le pays qui était à quelques mois des élections, mais surtout parce que Victoire Ingabire était déjà très connue pour son activisme démocratique en Europe. Un fort courant la soutenait (et la soutient toujours) parmi les Rwandais de la diaspora et quelques étrangers.
Mais penser qu’elle s’en serait sortie aussi aisément serait sous-estimer les capacités de Kagame et de sa légion de criminels lorsque leur château de dupes est assiégé, leur pouvoir menacé, leurs crimes évoqués. Enfin bref… La machine a été conçue en toute hâte avec cette fois-ci le mal qu’on lui connaît à fonctionner. Mais les moyens ne sont pas encore épuisés, loin s’en faut !
Les grenades ont explosé pour la première fois dans la ville « la plus sûre d’Afrique » ; il y a eu l’Affaire Joseph Ntawangundi, etc. etc. Tout semblait n’attraper que le vent (avec les critiques de la Communauté internationale sur les lois réprimant l’idéologie de génocide, l’éparpillement des efforts suite aux affaires Kayumba-Karegeya-Mushayidi, et j’en passe), il a fallu faire recours au plan B, et les génies criminels ont songé aux accusations de collaboration avec un mouvement terroriste. La preuve : d’anciens combattants des FDLR dont le témoignage n’est crédible qu’aux yeux de leurs nouveaux maîtres (si un général Kayumba ou Karake ne peut pas oser contredire les ordres de Paul Kagame, qu’en est-il d’un rebelle (« terroriste ») fraîchement rentré de maquis et à qui on demande une chose toute simple : accuser une opposante indésirable de collaboration ou de création d’un groupe terroriste !). Les autres preuves sont tout trouvées : copies de mails soi-disant échangés (quand on sait qu’un gamin de 10 ans est capable de pirater l’email de quelqu’un et de lui attribuer des messages ; des bons de réception de quelques centaines de dollars via Western Union – idem pour la valeur d’une telle preuve).
Quoi qu’il en soit, Victoire Ingabire est aujourd’hui en prison. Elle a été humiliée au maximum (tête rasée, uniforme rose des prisonniers rwandais, mains menottées à toutes les audiences, et ils se sont assurés que les images soient bien filmées et diffusées). Bien pire, elle a été atrocement torturée durant les premiers jours de sa détention. Personne ne connaît aujourd’hui son état à la prison centrale de Kigali (mais l’on sait que son compagnon de lutte, Me Ntaganda Bernard, a failli y perdre la vie suite à de mauvais traitements). Et des informations font état d’un plan de l’éliminer physiquement (espérons que ce ne soient que des rumeurs).
L’impertinence des « preuves » présentées à sa charge, le changement intempestif des crimes dont elle est accusée, des enquêtes interminables, les chantages et les intimidations autour d’elle et les déclarations publiques des politiciens à son sujet (alors que l’affaire est censée être judiciaire) sont autant d’éléments qui montrent que la machine Kagame est cette fois-ci rouillée. Et il n’apprécie certainement pas la détermination sans faille et la dignité de cette femme qui, malgré les tortures et les humiliations, a gardé jusqu’ici la voix haute et le sourire aux lèvres. Il aurait aimé la voir au moins croupir sous la dépression et mourir de sa propre mort.
La bien nommée Victoire Ingabire Umuhoza – Ingabire signifie Don et Umuhoza signifie Consolatrice, ajouté à cela Victoire, on la dirait prédestinée à sa lutte actuelle – est une héroïne vivante qui a tout laissé (la tranquillité européenne, un bon travail, la famille) pour entamer une lutte dont elle n’a pas pu sous-estimer les risques. Elle a été la première à oser affronter le lion dans sa tanière, et avec une véhémence inédite et inattendue. Elle est aujourd’hui prisonnière de son audace et de ses convictions, mais elle a moins le mérite d’avoir levé les tabous sur Kagame et son régime sanguinaire. Aujourd’hui, dix mois seulement après son retour au Rwanda, les choses ne sont et ne seront plus jamais comme avant. Le monde entier connaît dorénavant le caractère dictatorial, mensonger, illégitime et oppressif du régime ultra militaire qui tient les libertés et l’unité des rwandais en otage. Et même si les Occidentaux tardent à tirer toutes les conclusions qui s’imposent, une chose est sûre : ils sont désormais conscients de la nature de l’homme qu’ils ont supporté et du régime qu’ils ont aidé à se mettre en place et à se faire une fallacieuse réputation. Et la fin de Kagame comme celle de ses prédécesseurs (Mobutu, Sadam Hussein, Idi Amin, et les autres) est imminente, et l’intéressé en est conscient.
Du reste, Victoire Ingabire n’est pas seule dans la lutte. De nombreux Rwandais connaissent bien Kagame et sa légion de malfaiteurs et de flatteurs et de plus en plus de gens osent le critiquer ouvertement. Même ce qui ne le peuvent pas, par souci de préserver leur vie, se le murmurent au fond d’eux-mêmes et attendent impatiemment cette fin.
D’autres militants politiques ont aussi vu le jour : Bernard Ntaganda, Franck Habineza, Deo Mushayidi, etc. Bien que tout soit fait pour faire taire leurs voix, ils sont parvenus à mettre Kagame et son FPR sur la pente de descente, sur leur déclin, et cela est irréversible. Le courage de ces hommes et de ces femmes va sauver un peuple malmené, désespéré et opprimé. Ce sont des héros ! Les anciens compagnons de Kagame ont aussi levé le voile ; d’autres sont en prison. Leurs familles, leurs amis, leurs fidèles collaborateurs ne disent peut-être rien, mais ils savent à qui ils ont affaire. Enfin, l’ONU (dont le récent rapport a confirmé ce que Victoire Ingabire avait déclaré au Mémorial de Gisozi) ainsi que de nombreux autres pays ne supportent plus la politique oppressive et les mensonges de leur ancien élève, si bien que Paul Kagame commence à chercher des soutiens en Chine et chez ses pairs africains. Mais ça n’est qu’une tentative désespérer et cette sorte d’instinct qui conduit l’homme à repousser autant que possible sa mort au lendemain (« Aho gupfa none wapfa ejo », dit la sagesse rwandaise).
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OPEN LETTER TO MADAM VICTOIRE INGABIRE UMUHOZA, THE OPPOSITION LEADER ARRESTED IN RWANDA
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