Par Marc de Miramon | L´Humanité
Mardi 6 Octobre 2020
Camp de réfugiés hutu à Goma, RDC, 1996 © Stringer/Reuters |
Médecin et ancien président de MSF, Jean-Hervé Bradol est intervenu à Kigali en 1994. Il a publié l’ouvrage “Génocide et crimes de masse” aux éditions du CNRS.
ENTRETIEN.
Le contenu du rapport « Mapping » est-il
conforme à l’expérience de Médecins sans frontières en République démocratique
du Congo?
JEAN-HERVÉ BRADOL: La crédibilité de ce rapport vient de la
qualité des gens qui ont travaillé sur sa rédaction. Globalement oui, ce qu’ils
rapportent reflète notre expérience, notamment ce qui s’est passé au moment de
la fermeture des camps de réfugiés rwandais en RDC par une offensive des
rebelles congolais de l’époque, encadrés par l’Armée patriotique rwandaise
(APR) de Paul Kagame. Nous avons suivi l’exode de ces réfugiés qui ont pour
certains d’entre eux marché jusqu’au Congo-Brazzaville, soit 2 000 km,
l’équivalent de la distance Paris-Varsovie. Cette marche a été émaillée de
massacres, et cela nous a posé un problème car les équipes et véhicules (MSF ou
Croix-Rouge) qui suivaient les réfugiés étaient repérés par l’armée rwandaise.
Laquelle envoyait des tueurs pour liquider les réfugiés.
Comment qualifiez-vous les exactions commises
en RDC?
JEAN-HERVÉ BRADOL: On parle de crimes de masse, à très
grande échelle, mais nous laissons les autres qualifications aux juristes. Il
faut savoir que le mot « génocide » a trois registres d’emploi. La définition
juridique est très large, et de nombreuses persécutions peuvent être qualifiées
de génocide. Ensuite, vous avez le registre historique du terme, qui est là
beaucoup plus restreint, avec celui commis contre les Héréros et les Namas en
Namibie au tout début du XXe siècle, les Arméniens en 1915, les juifs d’Europe
pendant la Seconde Guerre mondiale et les Tutsis en 1994 au Rwanda. Après, vous
avez l’emploi politique du mot génocide. Actuellement, près d’une trentaine de
groupes à travers le monde s’en disent victimes pour faire avancer leur combat
politique.
La fermeture des camps de réfugiés en RDC était
à l’époque justifiée par la présence de génocidaires hutus. À quoi ont assisté
vos équipes?
JEAN-HERVÉ BRADOL: Nous avons constaté la présence de ces
génocidaires dès la constitution de ces camps, qu’ils contrôlaient largement.
La section française de MSF les a d’ailleurs quittés dès le mois de décembre 1994
à cause de cela. L’armée rwandaise et les troupes de Laurent-Désiré Kabila ne
se sont pas contentées d’attaquer des forces génocidaires en exil, mais s’en
sont prises à l’ensemble de la population des camps, lesquels abritaient
essentiellement des femmes, des enfants, des vieillards. Démographiquement, ils
représentaient à peu près 75 % de la population. Et ils ont été massacrés sans
le moindre discernement. Nos équipes ont assisté à la réquisition de matériel
qui appartenait à MSF pour remplir des fosses communes.
Ces actes ont-ils été exécutés par des soldats
agissant sans ordre de leur hiérarchie?
JEAN-HERVÉ BRADOL: Non. Les soldats de l’APR sont très
disciplinés et très commandés, et tout acte de désobéissance peut se payer très
cher. Il s’agissait d’ordres appliqués de manière méthodique et en aucun cas
des dérapages isolés.
Quels autres groupes armés ont commis des
crimes de masse en RDC?
JEAN-HERVÉ BRADOL: Les premiers que nous avons dénoncés
étaient les restes de l’ancien régime rwandais dont des miliciens et militaires
qui avaient directement participé au génocide des Tutsis. Il y a aussi des
milices locales dites « Maï-Maï », mais aussi les armées ougandaise et
burundaise. Dans certains cas, l’armée congolaise a également commis des
massacres directement ou par l’intermédiaire de groupes.
Comment expliquer l’indifférence de la
communauté internationale face à l’ampleur de ces tueries?
JEAN-HERVÉ BRADOL: La « communauté internationale »
n’existe pas vraiment. Ce sont plutôt les États qui avaient des intérêts dans
cette région, qu’il s’agisse de puissances locales, régionales ou
internationales et ne souhaitaient pas la création d’un mécanisme judiciaire.
Il y a eu une enquête, un rapport, mais pas de tribunal. Les Européens ont
laissé faire, et les États-Unis ont parfois activement couvert ces crimes.
L’ambassadeur américain à Kigali au moment de l’attaque des camps de réfugiés
déclarait publiquement que les réfugiés n’existaient pas, qu’ils étaient tous
rentrés au Rwanda. D’une certaine manière, Washington s’occupait alors de la
communication des massacreurs.
Source: L´Humanité
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