OPINIONS Mercredi16 janvier 2013
Victoire Ingabire et son parti, les FDU-Inkingi, sont injustement rangés du côté des incendiaires par un régime qui ne tolère pas les opposants et cherche à régner en divisant la société rwandaise en deux camps irréconciliables. Par Emmanuel Mwiseneza, délégué à l’Information et à la communication, FDU-Inkingi.
Nous apprécions l’avocat genevois Nils de Dardel pour son engagement en faveur des rescapés tutsis du génocide du printemps 1994. Il fait partie des personnes qui ont témoigné de l’empathie envers les victimes. Porter haut, comme lui, le combat avec et pour des rescapés tutsis afin que ce génocide ne soit jamais oublié ou que nul ne le dénie ou ne le relativise est une posture humaniste digne de respect. Nous sommes en revanche indignés quand, dans son combat, Nils de Dardel s’en prend à des personnes qui s’engagent, corps et âme, à jeter des ponts entre toutes les composantes de la société rwandaise, tutsie et hutue notamment, à entretenir le devoir de mémoire et à projeter le pays dans une nouvelle espérance du vivre ensemble, dans le respect mutuel et selon les règles de démocratie, de justice et de véritable réconciliation.
Dans un texte publié dans Le Temps du 18 décembre 2012, Nils de Dardel accuse Victoire Ingabire de négationnisme et le parti qu’elle préside, les FDU-Inkingi, d’être représentatif d’une nébuleuse très active en Occident, sans implantation au Rwanda et composé de Rwandais «qui ont souvent participé au génocide et qui entretiennent une haine farouche du nouveau Rwanda». Il les accuse de soutenir la théorie du double génocide – l’un commis contre les Tutsis, l’autre contre les Hutus –, théorie qui serait, écrit-il, une «pure fiction révisionniste».
Ces charges sont d’autant plus regrettables que Nils de Dardel recourt précisément à l’argumentation du régime dictatorial du FPR, à savoir un mélange de contre-vérités et d’amalgames qui n’a d’autre objectif que de jeter le discrédit sur toute personne osant s’opposer à ce régime.
Le régime rwandais ne peut pas rêver d’un meilleur soutien. Lui-même avocat, Nils de Dardel oublie les précautions d’usage et condamne sans présenter d’arguments vérifiables.
Le parti FDU est bel et bien implanté au Rwanda, où il a un Comité exécutif, composé d’une présidente, Mme Victoire Ingabire, d’un vice-président, M. Boniface Twagirimana, d’un secrétaire général, M. Sylvain Sibomana, d’une trésorière, Mlle Alice Muhirwa, et d’autres collaborateurs chargés de différentes activités jusqu’au niveau local. Le régime du FPR, sans avancer le moindre motif, a toujours refusé de reconnaître formellement le parti. Il est vrai aussi que certains de nos membres résident encore à l’extérieur du Rwanda pour des raisons politiques dictées par le parti au pouvoir.
Les FDU-Inkingi résultent d’une coalition de trois partis d’opposition (RDR, FRD et ADR-Isangano) ainsi que de personnalités indépendantes, dont la majorité n’était pas affiliée au régime qui a précédé le FPR. Par la suite, les FDU-Inkingi sont devenues un parti unitaire avant de prendre la décision de rentrer au Rwanda pour s’y faire enregistrer. La plupart des responsables actuels des FDU résidant en Occident ont été les premiers à dénoncer le génocide commis contre les Tutsis et à plaider pour la mise en place du Tribunal international pour le Rwanda, au moment où le gouvernement du FPR s’y opposait.
Victoire Ingabire et les FDU-Inkingi reconnaissent le génocide tel que reconnu par le Conseil de sécurité des Nations unies, dans sa résolution 955 du 8 novembre 1994. Ni elle ni son parti n’ont jamais cherché à relativiser le génocide pour quelque motif que ce soit. Tous les documents relatifs à ce terrible génocide sont disponibles sur le site du parti.
Les crimes commis par les responsables du FPR/APR, que certains voudraient escamoter en accusant ceux qui les abordent de tenants de la théorie du double génocide, sont largement documentés, notamment par le Mapping Report.
Au vu du verdict de 8 ans de prison prononcé contre Victoire Ingabire, à comparer avec la gravité des crimes de terrorisme, de formation d’une armée, d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de négationnisme et de propagation de l’idéologie génocidaire dont elle était accusée, comment ne pas déceler la légèreté de l’accusation? Comment ne pas voir la réalité d’un procès politique et d’une justice ankylosée par le pouvoir exécutif?
Lors de son retour au Rwanda, le premier geste de Victoire Ingabire à son arrivée à l’aéroport de Kigali a été d’aller s’incliner devant le Mémorial du génocide. Dans son édition du 17 janvier 2010, le très pro-gouvernemental journal The New Times ,faisant des distorsions malveillantes des propos, rapporte que Victoire Ingabire a déclaré que le Mémorial montrait le seul côté du génocide contre les Tutsis. Or, devant les journalistes, elle a précisé qu’elle était venue au Mémorial honorer les victimes du génocide tutsi, mais elle a aussi souligné la nécessité de la reconnaissance de la souffrance des autres victimes, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis par des éléments de l’ancienne rébellion. C’est malheureusement une triste vérité: le FPR, dans sa conquête du pouvoir, a massivement tué. Il a continué de tuer après la prise du pouvoir. Pour avoir osé le dire ouvertement, Victoire Ingabire a commis un crime.
Pourquoi Victoire Ingabire et son parti irritent-ils tant le régime rwandais? Parce qu’ils déjouent constamment le discours dominant disséminé par les thuriféraires du régime, selon lequel les opposants seraient des éléments anti-tutsi, nostalgiques du régime génocidaire révolu. La récente formation d’une plateforme politique réunissant les FDU-Inkingi et le RNC (Rwandan National Congress), parti fondé par d’anciens proches du président Kagame, a porté un sanglant démenti à la rhétorique pernicieuse du régime rwandais qui exalte la bipolarisation de la société rwandaise en assignant aux uns un rôle de criminels et aux autres celui de victimes, et ce de façon éternelle et inconciliable.
Que de hautes personnalités tutsies et hutues se mettent ensemble pour donner une perspective de réconciliation et de vivre ensemble dans laquelle s’évanouirait la hantise de la disparition collective et de la discrimination pour cause d’appartenance ethnique, cela ne fait sans doute pas le jeu du président Kagame et de ses adulateurs. Nous continuons de croire que M. Nils de Dardel ne fait pas partie de ceux-là.
* UN Mapping Exercise Report October 1, 2010.
Source: Le Temps
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