Publié le 9/9/2011
Posté sur Editions Sources du Nil
Qui rendra justice aux millions de rwandais massacrés par le FPR?
Par Luc MUGABO, Juriste
Nairobi, 09/09/2011
Nairobi, 09/09/2011
D’importantes tueries à caractère systématique ont eu lieu entre avril et septembre 1994, au fur et à mesure de l’avancée militaire du FPR sur tous les fronts. Le Journal Libération[1] qui a recoupé les informations recueillies à ce sujet pour cette période, mentionne de nombreux sites de massacres dont notamment celles situées dans 11 des 17 communes de Gitarama, avec 17.000 morts entre mai et septembre 1994.
[10] Filip Reyntjens : « The conspirancy of silence » du 02 septembre 1999
Un autre décompte établi sur base des listes faites au niveau des paroisses donne un chiffre de l’ordre de 25.000 morts pour la même période. En extrapolant sur l’ensemble du Rwanda, «Libération » arrive à un chiffre de l’ordre de grandeur de 150.000 morts pour la même période.
Le Journal Libération, mais aussi d’autres sources variées[2] ont indiqué plusieurs sites de massacres des populations civiles exécutées froidement par le FPR au cours de l’assaut final d’avril – juillet 1994 et durant les mois qui ont suivi sa victoire sur les FAR en juillet 1994. Tous ces témoins des horreurs commises par le FPR au moment où il fêtait sa victoire sur les FAR s’accordent sur le fait que c’est un crime contre la Justice d’arrêter et juger les auteurs présumés du « génocide tutsi » qui a fait 500.000 victimes et laisser en liberté les planificateurs et auteurs du « génocide hutu » dont les victimes étaient estimés à plus de 1.100.000 à l’époque (août- septembre 1995) et qui se poursuivait. Leur conclusion était simple et logique : « C’est en identifiant tous les criminels que le TPIR cassera cette culture de l’impunité qui a toujours attisé la spirale de la violence au Rwanda en particulier et dans la Région des Grands Lacs d’Afrique en général. »[3]
Le TPIR n’a jamais cherché à contrarier le régime FPR dans sa sale besogne, probablement, du fait qu’il obéit à des forces opposées à l’accomplissement de sa mission. Les détenus d’Arusha l’ont magistralement démontré dans un dossier fouillé, adressé aux plus hautes instances de l’ONU et du TPIR par la lettre du 17 janvier 2000 relative, notamment, aux crimes du FPR.
Le constat fait par les prisonniers d’Arusha en l’an 2000 a été confirmé par « International Crisis Group –ICG » en septembre 2003 en ces termes : « Les enquêtes sur l’APR n’ont été entamées par le Parquet du TPIR - et de façon timide - qu’en février 1999 alors que Louise Arbour se savait sur le départ. Héritière d’un dossier timidement géré par ses prédécesseurs pendant quatre ans, Carla Del Ponte a eu l’avantage de s’en saisir avec davantage de courage. La réunion tripartite de Washington des 14 et 16 mai 2003 sous la présidence de l’Ambassadeur américain pour les crimes de guerre Richard Prosper a mis fin définitivement aux velléités de la Suissesse et de tous ses successeurs au TPIR »[4]
L’extermination des Hutu rwandais par le régime FPR s’est poursuivie à grande échelle pour atteindre son paroxysme avec la destruction des camps de réfugiés hutu à l’Est du Zaïre et les massacres de leurs occupants sur place ou après leur retour forcé au Rwanda ainsi que la poursuite et la liquidation de tous ceux qui se sont aventurés dans les impénétrables forêts du Congo dans l’espoir d’échapper à leur implacable ennemi.
Les renseignements tirés de divers documents traitant du nombre de victimes de la tragédie rwandaise depuis le déclenchement de la guerre le 1er octobre 1990, donnent des indications très éloignées les unes des autres, aussi bien sur le nombre total des victimes toutes les ethnies confondues que sur le nombre de victimes Hutu, Tutsi ou Twa en particulier.
Les gouvernements successifs du FPR se sont catégoriquement opposés à toutes les offres internationales de financement pour effectuer le recensement des victimes de cette tragédie afin de ne pas perdre les avantages politiques et financiers que son régime continue à retirer des chiffres manipulés. Il va donc falloir se contenter, pour longtemps encore, des extrapolations pour avoir une idée sur l’ampleur de ces terribles tueries.
Parmi les estimations qui ont été publiées jusqu’à date, celle faite par l’ancien Ministre de la Défense James Gasana actuellement en exil en Suisse, me semble être la plus proche de la réalité. Il l’a produite lors de sa déposition devant la Commission d’Information du Parlement Français. Nkiko Nsengimana a reproduit le même tableau en annexe à la lettre ouverte qu’il adressa en date du 27 février 1998 au Président Bizimungu Pasteur et à celui qui était, officiellement, son Vice- Président à l’époque, mais déjà tout puissant Ministre de la Défense et Président du FPR, le Général Paul Kagame.
Ces hauts responsables du FPR n’ayant jamais démenti ni contesté les graves allégations portées contre eux à ces deux occasions, il y a lieu de les prendre comme une base crédible pour se faire une idée sur le nombre des victimes de la tragédie rwandaise, arrêté à la date de la finalisation du projet Nouer[5] en octobre 1997.
Ci-après, je reprends ledit tableau estimatif des victimes du conflit rwandais par phase, régions et objectifs des tueries tel que publié par James Gasana et Nkiko Nsengimana.
Coût en vies humaines du conflit rwandais[6]
Phase de la crise | Régions | Objectifs des massacres | Nombre de victimes |
Octobre1990-février 1993 | Byumba et Ruhengeri | Le FPR et la NRA dégagent un territoire « Tutsiland » pour la négociation du pouvoir et l’installation des réfugiés tutsi | 20.000 |
Février 1993 | Byumba et Ruhengeri | Idem | |
Avril–Juin 1994 | Toutes les régions pour le génocide tutsi Byumba, Kibungo,Bugesera et Kigali-Est pour le génocide des hutu. | Lutte pour le pouvoir et l’espace. Pour Byumba et Kibungo, le FPR dégage l’espace pour l’installation des rapatriés tutsi. | 1.180.000 |
Juin-août 1994 | Centre et sud du Rwanda. | Consolidation de l’ethno-cratie militaire tutsi et du butin de guerre. | 400.000 |
Juillet–août 1994 | Camps de réfugiés au Zaïre | Epidémie, maladies, faim | 100.000 |
Août- décembre 1994[7] | Toutes les régions du pays | Ecrémage accéléré des élites et des mâles hutus. Vengeance, consolidation du butin de guerre. | 580.000 |
1995- août1996 | Toutes les régions du pays | Idem | 250.000 |
Novembre 1996 à février 1997 | Camps des réfugiés au Zaïre | Génocide hutu[8] perpétré par le FPR et la rébellion de Kabira Joseph | 500.000 |
Mars-mai 1997 | Massacres des réfugiés à Tingi Tingi et à Kisangani[9] | Idem | 80.000 |
Total | Rwanda | 3.150.000 |
Comme je l’ai déjà signalé ci- avant, il n’y a pas que James Gasana et Nkiko Nsengimana qui se sont livrés à ce genre d’exercice d’extrapolation. Le professeur Filip Reyntjens dans un document intitulé : « The conspirancy of silence »[10] indique que Robert Gersony et son équipe avaient trouvé que déjà en 1994, trois mois seulement après la prise du pouvoir par le FPR, 30.000 Hutu avaient été massacrés dans trois communes qu’il avait prises comme échantillon.
En faisant une simple extrapolation sur l’ensemble du pays, il arrivait à estimer les victimes Hutu des massacres du régime FPR à 1.450.000 personnes.
S’agissant d’appréhender le chiffre exact des victimes de la tragédie rwandaise, le passage obligé devait être la réalisation d’un recensement ad hoc avec la participation internationale pour en garantir le résultat. Comme déjà indiqué, le FPR s’y est opposé pour des raisons évidentes d’opportunité politique car le génocide reconnu des Tutsi constitue un fonds de commerce rentable. Par contre, s’il était reconnu, le génocide nié des Hutu pousserait la Communauté internationale à sortir de son silence complice et à mettre fin à l’impunité dont jouit scandaleusement le FPR.
[1] Libération no 4594 du 27.2. 1996
[2] Il s’agit notamment de :
- Filip Reyntjens dans : « Le Rwanda, les violations des droits de l’homme par le FPR/APR,
Plaidoyer pour une enquête approfondie. » (Anvers, juin 1995)
Sujets d’inquiétude au Rwanda, octobre 1994, working paper, 3 novembre 1994
- Amnesty International dans son rapport intitulé : « L’armée Patriotique Rwandaise
responsable d’homicides et d’enlèvements. » (avril- août 1994)
- Jean Pierre Edouard Komayombi, président de l’Association Akagera- Rhein dans
Un document intitulé : « Rwanda, jusqu’où va le calvaire d’un peuple, avril 1996. »
[3] Ibidem : Rwanda, jusqu’où va le calvaire d’un peuple, 1ère partie ; les Modérés parlent, page 11
[4] ICG, Rapport Afrique no 69 du 26 septembre 2003 Nairobi/Bruxelles page 8 et 9
[5] Tableau repris du document du projet NOUER ; Breaking Hutu-Tutsi en mity in Rwanda through reconciliation can be hope again ? Lausane october 1997.
[6] Tableau reproduit in « La violence politique au Rwanda 1991-1993.» Déposition de James Gasana devant la Mission d’Information de l’Assemblée Nationale, France.
[7] Dans le rapport de décembre 1994, le Ministère de l’Intérieur (du nouveau régime), Division du Recensement, estimait le nombre total de victimes des massacres interethniques à 2,101.250
[8] Voir aussi le rapport d’un témoin publié par le journal français Libération le 10 février 1997, sous le titre « Zaire : un témoin raconte les massacres. »
[9] Des quelques 160.000 réfugiés survivants qui avaient atteint Tingitingi d’abord, Kisangani ensuite, environ 80.000 étaient encore en vie en début mai 1997 (voir aussi Time de la semaine du 12 mai 1997, « The Highway to Hell », p.28-33.
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