Publié le 02 février 2014
Par Augustin Baziramwabo et
Etienne Masozera
Le 1er janvier 2014, les médias annonçaient le meurtre, à Johannesburg en Afrique du Sud, du colonel Patrick Karegeya, ce Rwandais naguère proche de Paul Kagame (le président rwandais) et ancien chef des services de renseignement extérieur de son pays, avant d'être un paria pour être devenu un farouche opposant politique d'un régime qu'il avait contribué à mettre en place au Rwanda.
Avec la maturité et l'expérience politiques que 20 ans de pouvoir auraient dû leur assurer, on se serait attendu à ce que les plus hauts responsables de l'État rwandais fassent preuve de prudence - à défaut d'exprimer leurs condoléances à la famille du disparu - pour ne pas prêter le flanc aux supputations qui voulaient que le meurtre de M. Karegeya par strangulation ait été ourdi par M. Kagame lui-même. Au contraire, dans un concert de propos délirants, Kigali et ses chevau-légers se sont livrés à une communication pitoyable, sans retenue, qui donne des frissons.
James Kabarebe, le ministre rwandais de la Défense, est monté aux barricades pour traiter M. Karegeya, son ancien compagnon d'armes, d'un «vaurien qui n'a eu que ce qu'il méritait».
Quant à M. Kagame, dans une de ses bravades dont il est devenu régulièrement friand, il a averti ses opposants politiques, en faisant clairement allusion au sort de M. Karegeya, que «la trahison a des conséquences. Quiconque trahit notre cause ou souhaite du mal à notre peuple deviendra une victime. Reste seulement à savoir comment il deviendra une victime». Plus tard, lors d'une interview accordée à l'hebdomadaire Jeune Afrique, le chef de l'État rwandais a enfoncé le clou en déclarant que «le terrorisme a un prix, la trahison a un prix [...]. On est tué comme on a soi-même tué. Chacun a la mort qu'il mérite.»
À la suite de cette surenchère verbale incendiaire pour le moins compromettante, même Washington, par la voix de Mme Jennifer Paski, porte-parole du département d'État, a haussé le ton face à son fidèle allié, n'hésitant pas à dénoncer «des meurtres à mobiles politiques d'exilés rwandais influents» avant d'ajouter, du même souffle, que «les récentes déclarations du président Kagamé à propos des "conséquences" pour ceux qui trahissent le Rwanda nous inquiètent au plus haut point».
Mais comment M. Kagame, un dirigeant politique si aguerri, s'est-il laissé envahir par une émotion dévastatrice, dans pareilles circonstances? En laissant les barons de son régime se conduire de la sorte, il a commis trois fautes qu'il pourrait regretter dans un avenir très rapproché.
Première faute: ignorer que le monde a changé et que le regard que porte la communauté internationale sur la sécurité des États est devenu encore plus sévère qu'il ne l'était il y a 20 ans. Le meurtre de M. Karegeya a été commis hors des frontières nationales rwandaises, à fortiori sur les terres de Nelson Mandela, ce héros légendaire que le monde entier pleurait il y a quelques semaines à peine en mémoire de son immense héritage pour le combat acharné pour la démocratie et la réconciliation des Sud-Africains. Et M. Kagame, dont le pouvoir n'a rien perdu de ses réflexes prompts à manier aussi bien la violence que les conditions pour la justifier, voudrait exporter le terrorisme d'État en Afrique du Sud! Il semble que l'enquête policière suit son cours pour déterminer les tenants et aboutissants de ce meurtre crapuleux. Mais on peut penser que si la responsabilité du régime rwandais devait être établie dans ce dossier, cet acte terroriste ne resterait pas impuni par l'Afrique du Sud, dont nul n'ignore qu'elle a les moyens diplomatiques, politiques et militaires pour faire respecter l'autorité de l'État sur son territoire.
Deuxième faute: M. Kagame a pu croire que tout lui est permis et qu'il peut s'offrir le luxe d'assassiner qui il veut en toute impunité. La crise aiguë qu'a traversée le Rwanda dans la foulée du génocide de 1994 a favorisé d'autres actes répréhensibles. Les autorités rwandaises qui étaient plutôt attendues sur le terrain de la réconciliation nationale sont devenues les pompiers pyromanes d'une atmosphère délétère de l'arbitraire, générateur d'un sentiment d'insécurité généralisée qui a envahi les Rwandais. Déclinons : pour les uns, l'avenir est inexistant car trop peu sûr. Pour d'autres, seul le présent, garanti pour ce qu'il est, peut offrir quelques points de repère. Pour d'autres encore, il n'y a plus de passé, car il est trop douloureux. Il ne peut être abordé car, ô danger, on risque de compromettre la survie immédiate. Le régime s'emploie à faire disparaître toute notion de solidarité en faisant régner un climat de suspicion permanente entre voisins. Un ordre pervers où la violence fait loi. Au travers des extraits du discours évoqué plus tôt, l'«évangile selon Paul Kagamé» ne prêche pas autre chose! Cette impunité de fait peut-elle perdurer indéfiniment? Et si les Rwandais finissaient par se réveiller comme un seul homme!
Troisième faute, plus lourde encore sur le plan politique: M. Kagame a dû admettre publiquement que son gouvernement ne reculera devant rien pour pourchasser ses opposants politiques, fussent-ils des Tutsi. Ce faux pas fait paraître M. Kagame comme un artificier bricolant son engin incendiaire et son imminente mise à feu. La vigilance doit être de mise. Le combat pour la démocratie et les droits de la personne doit se poursuivre. Le travail pour abattre les frontières entre Rwandais doit être sans relâche.
Au vu des évènements récents, le président Kagame continue à alimenter les interrogations des Rwandais et de l'opinion publique sur son implication directe dans l'assassinat du président Habyarimana, élément déclencheur du génocide qui s'en est suivi. En déclarant une guerre ouverte et sans merci à «quiconque trahit notre cause ou souhaite du mal à notre peuple», le chef de l'État rwandais vend la mèche de son funeste projet... En vertu de quelle légitimité divine ce président s'arroge-t-il le droit de tuer qui il veut, où qu'il vive?
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