Par Cécil Kami
Le 18 Janvier 2014
A quoi pensait le président rwandais lorsqu'en présentant ses vœux pour l'année 2014, il annonçait que cette dernière sera difficile pour ses concitoyens ? Au nombre de ceux qui seront, conformément à ses injonctions, éliminés (étranglés?) comme l'a été son ancien camarade puis opposant, le colonel Patrick Karegeya ? A l'attitude qu'adopteront, comme les États-Unis, les pays qui désapprouveront ce gangstérisme d'état ? Certes. Comme la plupart d'assassins, l'homme est un fin calculateur et sachant ses techniciens à la trousse de son ancien espion, le maître de Kigali ne pouvait ne pas anticiper les réactions internationales à ses forfaits. Ce qu'il n'a peut-être pas vu venir est cette recherche assidue de rapprochement entre opposants à son régime. Plus, qui pouvait imaginer que le cordon sanitaire qu'il avait su imposer autour des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda allait se briser avec autant de facilité ? D'abord les socialistes de maître B. Ntaganda et les « concasseurs » (Urukatsa) de P. Bamara, ensuite – surprise de l'année – le Rwandan Dream Initiative de l'ex-premier F. Twagiramungu, tous ont rendu public leur rapprochement avec ces rebelles qui ont justifié les aventures congolaises de Kagame. Est-ce la fin d'une époque ?
En attendant de voir l'évolution de cette collaboration, il est d'ores et déjà clair que tout l'argumentaire idéologique de Kagame est en train d'être impitoyablement détricoté. Pendant 20 ans, il a malhonnêtement et habilement ostracisé des Rwandais comme lui qu'il n'arrive pas à mettre au pas. Malhonnêtement, car sa propagande a toujours omis de mentionner qu'un des fondateurs des Fdlr, le général Paul Rwarakabije, siège actuellement au gouvernement en tant que ministre « des prisons ». Habilement, car la puissance (militaire) du régime lui vient du soutien inconditionnel qu'il a reçu pour, entre autre raison, prévenir une hypothétique et irréaliste attaque des rebelles du Fdlr. La Monusco qui avait déjà toutes les peines du monde à régler le problème de cette rébellion devra maintenant tenir compte des voix de ces nouveaux partenaires que viennent d'avoir ceux qu'on appelle les « Hutu des forets ». Pendant tout le temps qu'on a dit que Kagame instrumentalisait la présence des Fdlr au Congo, son ex-premier ministre vient de démonter cet ostracisme et poser courageusement le problème de la fréquentabilité politique de ce mouvement composé majoritairement, il n'y a plus de doute, par des jeunes qui n'ont absolument rien à voir avec le fonds de commerce de Kagame, le génocide rwandais.
Lorsque le président tanzanien Jakaya M. Kikwete prodigue à Kagame le conseil de dialoguer avec son opposition armée, le rwandais s'irrite au plus haut point et promet même de « cogner » son homologue. En attendant, il verrouille totalement le débat démocratique en doublant la peine des leaders de l'opposition lorsqu'il ne les tue tout simplement pas ou ne leur refuse de visa pour rentrer. C'est cette intransigeante et orgueilleuse cécité politique qui finira par radicaliser bien de ses compatriotes qui, jusqu'ici, observaient pourtant une certaine distance vis-à-vis des Fdlr. La formation du quatuor Fdlr - Ps Imberakuri - Rdi Rwanda Rwiza - Urukatsa vient donc de porter le problème rwandais à un tout autre niveau et le fait que Faustin Rukokoma s'y investisse préfigure déjà bien de rebondissements intéressants: n'était-il pas (encore) aux affaires lorsque Kagame se préparait à rendre orphelins les jeunes qui forment l'ossature des Fdlr ? Bien déterminé, il a annoncé la couleur sur une radio internationale en déclarant qu'il « est temps de mettre fin au chantage de Kigali, notamment du président Kagame, qui essaie chaque fois d’instrumentaliser le génocide, pour qualifier tout le monde de génocidaire ». Avant cette sortie, il avait assuré qu'il rentrerait au Rwanda par tous les moyens à sa disposition ; est-ce le but inavoué de cette alliance ?
Ailleurs dans l'opposition, les positions ne sont plus figées car la diabolisation des Fdlr n'est plus d'actualité et tout indique que cette cour faite à ces derniers n'est pas prête de s'arrêter. Le Congrès national rwandais soutient qu'il s'agit là d'une organisation faite des Rwandais et que la considération de leurs requêtes ne saurait être sempiternellement renvoyée aux calendes grecques. Le parti de Victoire Ingabire ne s'est pas encore prononcé, mais étant en plate-forme avec le Rnc, l'on est en droit d'imaginer qu'il ne saurait se tenir à l'écart d'une démarche visant à renforcer la posture de l'opposition à la dictature de Kagame. Sera-ce assez pour faire basculer l'opinion et le regard que portent par exemple les Nations Unies sur les Fdlr ? L'histoire est pleine d'exemples d'autres organisations qu'à un moment donné l'on a qualifié de « terroristes » pour se retrouver, du jour au lendemain, dans le camp des mouvements dits de libération ou des combattants de la liberté. Les cas illustres de l'Anc de feu Nelson Mandela et de l'Irgoun (ancêtre du Likoud israélien) rappellent que la cause des opposants armés au régime afande n'est pas tout à fait perdue.
Reste que cette recomposition du paysage politique risque très vite de se transformer en une partie du quitte ou double. La couleur est d'ailleurs toute annoncée par les officiels du régime qui, sans trop tarder, ont repassé le disque du Fdlr « diabolique » avec lequel « aucune négociation ne sera tenue ». Jusque-là conforté par les consternantes divisions de ses opposants, la machine Kagame sortira certainement les grands moyens et compte tenu du discours présidentiel qui a suivi le décès du colonel Karegeya, cela risque de faire énormément mal. Et ce n'est qu'un euphémisme. Sendashonga n'avait-il pas été assassiné car il envisageait sérieusement de s'allier à une force armée pour « dégager » Kagame ? En travaillant ouvertement avec l'organisation du général Victor Byiringiro, les partis d'oppositions doivent ainsi s'attendre à une attitude extraordinairement hostile de la part du gouvernement Kagame. Non seulement des vies seront mises en danger, mais les responsables politiques doivent avoir une stratégie claire, novatrice et efficace pour capitaliser en cas de bavures qui ne manqueront pas d'accompagner la réaction gouvernementale.
Malgré les talents d'espion qu'avait Kagame, malgré le charisme de Rwigema et malgré la bravoure des stratèges Kayitare, Waswa, Muvunanyambo etc. les militaires Inkotanyi ont eu besoin d'une structure politique pour gérer leur invasion du Rwanda. C'est peut-être ce qui manquait aux rebelles « hutu » et sûrement un rôle éminent que s'apprêtent à jouer tous ceux qui signent aujourd'hui avec les Fdlr. Dès lors s'impose cette question : pourquoi maintenant alors qu'avec la publication du fameux mapping report le Fpr se trouvait embourbé dans une décrédibilisation qui n'a pas arrêté de le fragiliser ? Il est vrai qu'après la mort du M23, les choses changent et il se dégage une nette impression de panique au sein de l'oligarchie afande. Une étude sur le Rwanda commandée par l'Africom (Rwanda, Assessing Risk To Stability) a même signalé que the government's absolute suppression of dissent ultimately adds to its own fragility. Alors, 2014 sera-t-elle l'année « difficile » qui aura raison des peines que s'auto-inflige l'opposition de par son éparpillement ? Est-on en train d'assister à la fin d'une époque ? Celle de la force conférée à Kagame par ses multiples mensonges ? « Ce qui d'abord est gloire à la fin est fardeau », écrivait Victor Hugo dans La Légende des siècles.
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