Une grande partie des organisations de la société civile rwandaise préfère être proches du pouvoir pour pouvoir survivre sans risques. Les autres, régulièrement combattues, ont du mal à faire entendre leur voix.
Au Rwanda, une partie de la société civile soutient le gouvernement en toutes circonstances. Début novembre 2012, quatre églises chrétiennes et l’association des Musulmans du Rwanda ont adressé une lettre au secrétaire général des Nations unies protestant contre le rapport du groupe d'experts onusiens accusant le Rwanda de soutenir le mouvement rebelle congolais dit M23. Elles remettent en question "l’intégrité de ces experts, la méthodologie employée et les conclusions de ces rapports basées sur des preuves insuffisantes" et tentent d’expliquer que les preuves d’implication du Rwanda ne sont pas entièrement fondées. En décembre dernier, la plateforme de la société civile s'est empressée de donner son avis sur la suspension des aides étrangères au gouvernement rwandais. L’organisation a condamné cette décision, brandissant qu'elle était basée sur les allégations non fondées.
Au moment où une partie de la société civile est active et multiplie les déclarations de soutien au gouvernement, l'autre se contente de regretter que ses opinions ne soient pas prises en considération et dénonce, sans effet, les difficultés d’obtenir des documents administratifs pour pouvoir fonctionner.
Pour Épimaque Okwoko, secrétaire exécutif de la Ligue des droits de la personne dans la région des Grands lacs (LDGL), collectif régional basé à Kigali, "La société civile doit servir de contre-pouvoir pour éclairer les décideurs politiques. Ce qui la fragilise, c’est surtout le fait de toujours suivre ce que dit le gouvernement." "C’est ainsi, ajoute-t-il que celui qui ose donner un avis contradictoire est pris pour un opposant politique. Par peur de subir ce que subissent les opposants, on décide de se taire ou d’être partisan.
Pour bon nombre de Rwandais, la société civile n’est autre qu’une caisse de résonnance du gouvernement. "Elle n’a pas de poids pour négocier avec le gouvernement. Ses plaidoyers ne changent rien aux décisions des autorités alors qu’elle devrait être la voix des sans voix", remarque un villageois de Gasabo.
Peur de la solidarité
Au cours des deux dernières années, les secrétaires exécutifs de la ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l'homme (Liprodhor) et de la LDGL ont pris le chemin de l’exil. D’après leurs proches, ils ont quitté le pays car d'autres membres de la société civile les qualifiaient d’"ennemis du pays" suite à leurs prises de position sur les violations des droits de l’homme.
"La solidarité au sein des organisations de la société civile laisse à désirer", note un journaliste de Kigali. Lors de l’élaboration du rapport de la société civile en marge de l’examen périodique universel du Rwanda en 2011, les organisations se sont désolidarisées. Certains ne voulaient pas ternir l’image du pays en dénonçant des violations des droits de l’homme commises par le pouvoir. "Lorsque les autorités s’en prennent au fonctionnement d’une organisation, les autres condamnent l’accusée au lieu d’apporter leur soutien", témoigne un membre de la LIPRODHOR. Pour Édouard Munyamariza, porte-parole de la plateforme de la société civile, la voix de la société civile se fait bien entendre : les plaidoyers sur la décentralisation du budget alloué à l’agriculture, sur la collecte des cotisations de la mutuelle de santé, ont été pris en considération par le gouvernement.
Lors de la célébration de la journée de la paix et de la démocratie mi-septembre 2012, le président du sénat, le docteur Jean Damascène Ntawukuriryayo, avait expliqué aux membres de la société civile qu’il "ne leur manque pas d’espace d’expression, mais de compétences pour exploiter les droits qu’ils ont".
Encadré
Les Ong strictement encadrées
Les autorités rwandaises encadrent de près le travail des Ong. La loi de février 2012 oblige toute Ong, qui veut se faire agréer, à fournir, chaque année, son plan d'action, son budget et ses sources de financement. Le gouvernement exige aussi que les actions de ces organisations s’inscrivent dans les plans de développement national et des districts. Mais, même si toutes les conditions sont respectées, certaines demandes peuvent être rejetées quand l’autorité juge avoir des preuves convaincantes que l’organisation requérante peut compromettre la sécurité, l’ordre public, la santé, la morale et les droits de la personne. "Ainsi certaines Ong "suspectes" passent de longs mois à chercher ces documents", constate un activiste des droits de l’homme de Kigali. Pour lui, "le pouvoir multiplie des tracasseries aux Ong pour les maintenir sous pression".
En novembre 2011, le district de Nyarugenge a fermé les bureaux de la Liprodhor en application de la décision de la ville de faire respecter le plan directeur de l’urbanisation, avançant que sa maison qui l'hébergeait était dans un site résidentiel et non dans des logements destinés à être bureaux. "L'organisation est vouée à la disparition, car la location du bureau est très chère", note un activiste des droits de l’homme de Kigali qui ajoute que "compliquer le travail des Ong, ne pas leur faciliter l'obtention de documents administratifs pour chercher des fonds affaiblit la société civile. C'est un frein au développement du pays, dont la société civile est un acteur incontournable". Avis partagé par le secrétaire exécutif de la LDGL pour qui le processus d’enregistrement des Ong fait sentir le poids et le contrôle du gouvernement. "Celle qui n’accepte pas de s’allier au pouvoir risque de ne pas obtenir les documents administratifs reconnaissant son existence et d'être qualifiée de hors la loi".
Albert-Baudoin Twizeyimana
Source: Syfia Grands Lacs
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