4 Aout 2012
En politique, l’on dirait qu’il est interdit de tirer des leçons de l’histoire. Pourtant, les historiens nous disent que l’histoire éclaire le présent et prépare l’avenir. Ce qui est regrettable c’est que les hommes politiques ou les politiciens peu importe le qualificatif, finissent quasi tous par chanter une fausse note, dire un mot de trop, poser un geste qui ne cadre pas avec les intérêts suprêmes du peuple qu’ils sont censés servir. Les exceptions viendraient pour confirmer ce constat.
Même s’il est difficile de s’accorder unanimement sur la définition du concept « Etat », je suis du même avis que ceux qui envisagent ou définissent l’Etat comme « l’ensemble des institutions qui permet de gouverner un pays. » L’Etat étant ainsi défini, on comprend difficilement comment un parti qui, par nature, est censé être « une association ayant pour but la conquête et la conservation du pouvoir politique » peut, du jour au lendemain, se substituer à l’Etat ou se confondre avec les institutions étatiques. En effet, personne ne peut s’imaginer qu’il peut y avoir le moindre doute sur la distinction entre l’Etat et le parti, mais les politiciens n’ont pas toujours réussi à faire la part des choses en cette matière.
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Les exemples ne manquent pas. La révolution russe et ses corollaires (la contre-révolution stalinienne et le parti-Etat), la révolution iranienne de 1979 ainsi que la contre-révolution qui a anéanti les acquis sociaux de ladite révolution quelques années plus tard, c’est là quelques cas historiques qui devraient nous ouvrir les yeux et nous aider à penser plus profond.
Sur le continent africain, il y a lieu de citer les cas de ceux qui étaient considérés comme les pères de l’indépendance mais qui n’ont pas pu tenir leurs promesses : l’exemple de Milton Obote, (avec son parti ‘Uganda People Congress’-UPC), Robert Mugabe du Zimbabwe (avec son parti ‘Zimbabwe African National Union Patriotic Front’, ZANU-PF).
Plus récemment encore, l’on se souviendra des partis qui ont pris le-dessus sur les institutions étatiques, favorisant ainsi des dictatures monstrueuses. C’est le cas du parti dit ‘ Mouvement Populaire de la Révolution’-MPR, de Mobutu Seso Seko du Zaïre, (l’actuelle RDC), du parti RDC du temps de Ben Ali(Tunisie), du Parti national démocratique de Hosni Moubarak (Egypte), du guide de la Révolution, Mouammar Kadhafi ( Libye), etc.
Pour le cas du Rwanda, la naissance de la République le 28 janvier 1961 avait donné un espoir à tout le peuple rwandais de pouvoir enfin vivre dans un Etat de droit après des siècles marqués par une monarchie absolue. Le vent de l’indépendance du Rwanda avait été entretenu et nourri par un groupe de partis politiques dont les principaux étaient le MDR-Parmehutu, l’UNAR, le RADER et l’APROSOMA. Sorti vainqueur des élections liées au référendum-KAMARAMPAKA du 25 septembre 1961, le parti MDR se hissera à la tête du pays et son président fondateur Grégoire KAYIBANDA sera le premier Président de la République Rwandaise indépendante depuis le 1er juillet 1962.
Quelques années plus tard, le parti MDR, après avoir exclu les autres partis, se retrouvera seul acteur sur la scène politique rwandaise. L’espoir de vivre dans un pays qui respecte les principes démocratiques,un pays dont les dirigeants respectent la séparation entre les organes de l’Etat et les partis politiques s’estompa avec la concentration du pouvoir dans les mains des membres du parti unique MDR, souvent originaires d’une seule région. C’est ainsi que le régime se consumera à petit feu avant d’être assommé par le coup d’Etat militaire de 1973.
Porté au pouvoir par le coup d’Etat du 5 juillet 1973, Juvénal HABYARIMANA s’appuya sur le soi-disant Comité pour la paix et l’unité nationale, autrement dit « Camarades du 5 juillet » pour calmer les esprits et sortir le pays du chaos dû à l’essoufflement de la Première République. Deux ans plus tard, il fonda le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND), parti unique. Les citoyens rwandais étaient tous considérés comme membres de ce seul parti-Etat. On naissait membre du parti MRND ! La présidence du parti et son comité central primaient sur toutes les institutions de l’Etat. En théorie, le MRND se disait rassembleur et visait le développement intégral de tout le pays. En pratique, l’on pouvait facilement constater que les droits et les devoirs des citoyens rwandais dépendaient parfois de leurs origines régionales ou ethniques. Les modalités de passage à l’école secondaire, à l’université ou d’obtention des bourses d’études, les politiques de nomination à certains postes, de financement de certains projets de développement, …tout cela dépendait de l’entourage du président HABYARIMANA ou des personnages qui avaient réussi à gagner sa confiance par le biais du MRND.
Il faudra attendre les années 90 (plus concrètement, l’année 1991) pour que le régime de Habyarimana accepte l’ouverture de l’espace politique. Avide du multipartisme ou aigrie par le pouvoir, l’intelligentsia rwandaise ne s’est pas montrée plus clairvoyante que le Président qui commit une erreur politique en acceptant la création des partis d’opposition en temps de guerre. Elle (l’intelligentsia) s’est précipitée à créer des partis d’opposition sans se soucier de la guerre d’agression contre le Rwanda, lancée par le FPR le 1er octobre 1990 et qui faisait des ravages au sein de la population. Dans un laps de temps, le nombre de partis avoisinait une quinzaine.
Plus tard, certains justifieront cette ouverture impromptue faite par le président HABYARIMANA par le fait que non seulement il voulait montrer que son régime n’était pas une dictature mais qu’il ne pouvait pas non plus ne pas céder à la pression internationale qui le poussait à s’inscrire dans le courant international du multipartisme.
Après une guerre meurtrière de 4 ans qui s’est soldée par le génocide de 1994 et la victoire de la rébellion dénommée « Armée Patriotique Rwandaise-APR. » sur les Forces Armées Rwandaises (FAR) le 4 juillet, Paul KAGAME est devenu l’homme fort de Kigali. Pour s’assurer définitivement la victoire politique, son parti le « Front Patriotique Rwandais-FPR. », a commencé par dissoudre ses anciens adversaires directs le « MRND » et la « CDR ». Ensuite, il a progressivement sapé le « MDR » avant de le bannir du territoire rwandais purement et simplement . Les autres partis qui, jadis, étaient dans l’opposition, comme le PSD et le PL, pour n’en citer que ceux-là, ont été infiltrés jusque dans la moelle des os par les membres du FPR. Ils font figure de partis d’opposition, mais en réalité ils constituent l’aile du FPR.
Pour mieux assurer sa suprématie, le FPR ne se considère pas comme un parti mais plutôt comme une famille. Tous ceux qui rêvent de créer de véritables partis d’opposition au pouvoir dictatorial de Kagame sont vite étouffés dans l’œuf. C’est ainsi que l’ancien président Pasteur BIZIMUNGU et l’ancien ministre des travaux publics Charles NTAKIRUTINKA ont été jetés en prison après la création du parti dénommé « PDR-UBUYANJA ». Le vice-président du parti démocratique des Verts (Democratic Green Party) André KAGWA RWISEREKA a été retrouvé mort, décapité le 14 juillet 2010. D’autres figures de l’opposition croupissent en prison. Nous citerons à titre exemplatif Madame Victoire INGABIRE, présidente des FDU-INKINGI (parti non encore enregistré au Rwanda) pour laquelle le Ministère Public a requis la perpétuité, Déo MUSHAYIDI, président du PDP-Imanzi (parti non encore enregistré au Rwanda), condamné à la prison à perpétuité, Maître Bernard NTAGANDA, président fondateur du PS-Imberakuri, condamné à 4 ans de prison. Les plus chanceux parmi les opposants réussissent à prendre le chemin de l’exil.
En dépit de cette situation dramatique et déplorable du pseudo multipartisme au Rwanda, le président Paul KAGAME continue à se considérer comme un leader démocrate, victime des critiques non fondées issues des milieux des régimes précédents ou des anciens camarades de lutte exclus du pouvoir. Les prix lui sont décernés de partout dans le monde comme un leader exemplaire. Il sait bien que ces prix sont trompeurs, mais il ne fait rien pour les mériter en mettant en place un pouvoir démocratique.
Qu’on ne se leurre pas, l’on ne peut jamais prétendre à un Etat de Droit en s’appuyant sur un Parti Unique. Il est regrettable que certains Chefs d’Etat soient tombés/tombent dans le piège de créer des partis uniques ou de changer la Constitution pour s’assurer une présidence à vie alors qu’au départ ils croyaient à la primauté des institutions démocratiques. En kinyarwanda on dit « Ntawe unanira umushuka ». Souvent de tels leaders sont victimes d’un mauvais entourage.
Quoi qu’il en soit, il faut remarquer que les régimes à partis uniques sont souvent dictatoriaux et cela, à des degrés divers. Ils ont toujours en commun le fait que ceux qui sont censés exercer le pouvoir se placent au-dessus des institutions pour opprimer le peuple. Dans certains cas, il s’agit d’anciens opprimés qui deviennent à leur tour des oppresseurs.
Le passé devrait contribuer à éclairer notre combat politique et nous aider à rester intègres avec nous-mêmes, où que nous soyons.
Note:
Benoit Ndagijimana est l'ancien Secrétaire Général adjoint des FDU-Inkingi
Sur le continent africain, il y a lieu de citer les cas de ceux qui étaient considérés comme les pères de l’indépendance mais qui n’ont pas pu tenir leurs promesses : l’exemple de Milton Obote, (avec son parti ‘Uganda People Congress’-UPC), Robert Mugabe du Zimbabwe (avec son parti ‘Zimbabwe African National Union Patriotic Front’, ZANU-PF).
Plus récemment encore, l’on se souviendra des partis qui ont pris le-dessus sur les institutions étatiques, favorisant ainsi des dictatures monstrueuses. C’est le cas du parti dit ‘ Mouvement Populaire de la Révolution’-MPR, de Mobutu Seso Seko du Zaïre, (l’actuelle RDC), du parti RDC du temps de Ben Ali(Tunisie), du Parti national démocratique de Hosni Moubarak (Egypte), du guide de la Révolution, Mouammar Kadhafi ( Libye), etc.
Pour le cas du Rwanda, la naissance de la République le 28 janvier 1961 avait donné un espoir à tout le peuple rwandais de pouvoir enfin vivre dans un Etat de droit après des siècles marqués par une monarchie absolue. Le vent de l’indépendance du Rwanda avait été entretenu et nourri par un groupe de partis politiques dont les principaux étaient le MDR-Parmehutu, l’UNAR, le RADER et l’APROSOMA. Sorti vainqueur des élections liées au référendum-KAMARAMPAKA du 25 septembre 1961, le parti MDR se hissera à la tête du pays et son président fondateur Grégoire KAYIBANDA sera le premier Président de la République Rwandaise indépendante depuis le 1er juillet 1962.
Quelques années plus tard, le parti MDR, après avoir exclu les autres partis, se retrouvera seul acteur sur la scène politique rwandaise. L’espoir de vivre dans un pays qui respecte les principes démocratiques,un pays dont les dirigeants respectent la séparation entre les organes de l’Etat et les partis politiques s’estompa avec la concentration du pouvoir dans les mains des membres du parti unique MDR, souvent originaires d’une seule région. C’est ainsi que le régime se consumera à petit feu avant d’être assommé par le coup d’Etat militaire de 1973.
Porté au pouvoir par le coup d’Etat du 5 juillet 1973, Juvénal HABYARIMANA s’appuya sur le soi-disant Comité pour la paix et l’unité nationale, autrement dit « Camarades du 5 juillet » pour calmer les esprits et sortir le pays du chaos dû à l’essoufflement de la Première République. Deux ans plus tard, il fonda le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND), parti unique. Les citoyens rwandais étaient tous considérés comme membres de ce seul parti-Etat. On naissait membre du parti MRND ! La présidence du parti et son comité central primaient sur toutes les institutions de l’Etat. En théorie, le MRND se disait rassembleur et visait le développement intégral de tout le pays. En pratique, l’on pouvait facilement constater que les droits et les devoirs des citoyens rwandais dépendaient parfois de leurs origines régionales ou ethniques. Les modalités de passage à l’école secondaire, à l’université ou d’obtention des bourses d’études, les politiques de nomination à certains postes, de financement de certains projets de développement, …tout cela dépendait de l’entourage du président HABYARIMANA ou des personnages qui avaient réussi à gagner sa confiance par le biais du MRND.
Il faudra attendre les années 90 (plus concrètement, l’année 1991) pour que le régime de Habyarimana accepte l’ouverture de l’espace politique. Avide du multipartisme ou aigrie par le pouvoir, l’intelligentsia rwandaise ne s’est pas montrée plus clairvoyante que le Président qui commit une erreur politique en acceptant la création des partis d’opposition en temps de guerre. Elle (l’intelligentsia) s’est précipitée à créer des partis d’opposition sans se soucier de la guerre d’agression contre le Rwanda, lancée par le FPR le 1er octobre 1990 et qui faisait des ravages au sein de la population. Dans un laps de temps, le nombre de partis avoisinait une quinzaine.
Plus tard, certains justifieront cette ouverture impromptue faite par le président HABYARIMANA par le fait que non seulement il voulait montrer que son régime n’était pas une dictature mais qu’il ne pouvait pas non plus ne pas céder à la pression internationale qui le poussait à s’inscrire dans le courant international du multipartisme.
Après une guerre meurtrière de 4 ans qui s’est soldée par le génocide de 1994 et la victoire de la rébellion dénommée « Armée Patriotique Rwandaise-APR. » sur les Forces Armées Rwandaises (FAR) le 4 juillet, Paul KAGAME est devenu l’homme fort de Kigali. Pour s’assurer définitivement la victoire politique, son parti le « Front Patriotique Rwandais-FPR. », a commencé par dissoudre ses anciens adversaires directs le « MRND » et la « CDR ». Ensuite, il a progressivement sapé le « MDR » avant de le bannir du territoire rwandais purement et simplement . Les autres partis qui, jadis, étaient dans l’opposition, comme le PSD et le PL, pour n’en citer que ceux-là, ont été infiltrés jusque dans la moelle des os par les membres du FPR. Ils font figure de partis d’opposition, mais en réalité ils constituent l’aile du FPR.
Pour mieux assurer sa suprématie, le FPR ne se considère pas comme un parti mais plutôt comme une famille. Tous ceux qui rêvent de créer de véritables partis d’opposition au pouvoir dictatorial de Kagame sont vite étouffés dans l’œuf. C’est ainsi que l’ancien président Pasteur BIZIMUNGU et l’ancien ministre des travaux publics Charles NTAKIRUTINKA ont été jetés en prison après la création du parti dénommé « PDR-UBUYANJA ». Le vice-président du parti démocratique des Verts (Democratic Green Party) André KAGWA RWISEREKA a été retrouvé mort, décapité le 14 juillet 2010. D’autres figures de l’opposition croupissent en prison. Nous citerons à titre exemplatif Madame Victoire INGABIRE, présidente des FDU-INKINGI (parti non encore enregistré au Rwanda) pour laquelle le Ministère Public a requis la perpétuité, Déo MUSHAYIDI, président du PDP-Imanzi (parti non encore enregistré au Rwanda), condamné à la prison à perpétuité, Maître Bernard NTAGANDA, président fondateur du PS-Imberakuri, condamné à 4 ans de prison. Les plus chanceux parmi les opposants réussissent à prendre le chemin de l’exil.
En dépit de cette situation dramatique et déplorable du pseudo multipartisme au Rwanda, le président Paul KAGAME continue à se considérer comme un leader démocrate, victime des critiques non fondées issues des milieux des régimes précédents ou des anciens camarades de lutte exclus du pouvoir. Les prix lui sont décernés de partout dans le monde comme un leader exemplaire. Il sait bien que ces prix sont trompeurs, mais il ne fait rien pour les mériter en mettant en place un pouvoir démocratique.
Qu’on ne se leurre pas, l’on ne peut jamais prétendre à un Etat de Droit en s’appuyant sur un Parti Unique. Il est regrettable que certains Chefs d’Etat soient tombés/tombent dans le piège de créer des partis uniques ou de changer la Constitution pour s’assurer une présidence à vie alors qu’au départ ils croyaient à la primauté des institutions démocratiques. En kinyarwanda on dit « Ntawe unanira umushuka ». Souvent de tels leaders sont victimes d’un mauvais entourage.
Quoi qu’il en soit, il faut remarquer que les régimes à partis uniques sont souvent dictatoriaux et cela, à des degrés divers. Ils ont toujours en commun le fait que ceux qui sont censés exercer le pouvoir se placent au-dessus des institutions pour opprimer le peuple. Dans certains cas, il s’agit d’anciens opprimés qui deviennent à leur tour des oppresseurs.
Le passé devrait contribuer à éclairer notre combat politique et nous aider à rester intègres avec nous-mêmes, où que nous soyons.
Note:
Benoit Ndagijimana est l'ancien Secrétaire Général adjoint des FDU-Inkingi
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