Monday, February 13, 2012

Les Réfugiés Rwandais ne peuvent pas rentrer dans un enfer


Par 
Laure Uwase  

Jambo News
13 février 2012


Le samedi 4 février 2012 s’est tenue une conférence-débat organisée par L’Institut Seth Sendashonga pour la Citoyenneté Démocratique sur « la problématique des réfugiés rwandais face à la menace de la clause de cessation ».
Plusieurs invités se sont exprimés à propos de la clause de cessation du statut de réfugié décrétée par le HCR,  dont Michel Cavinato, un représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, Me Charles Ntampaka, avocat spécialisé en droit des étrangers, Eustache Habumuremyi, Secrétaire Général de l’association Jambo, Joseph Matata du Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda, ainsi que Faustin Twagiramungu, ancien Premier Ministre du Rwanda. Gérald Gahima du RNC et Boniface Twagirimana des FDU-Inkingi sont également intervenus par Skype-conférence.
La conférence était animée par Jean Marie Nkezabera, président du conseil de l’Institut Seth Sendashonga
Michel Cavinato, en charge des questions juridiques au Bureau du HCR pour l’Europe a tenu à  préciser deux points en particulier :
  1. L’application de la clause cessation du statut de réfugié est exclusivement reservée aux Rwandais qui ont fui entre 1959 et 1998
  2. Le report de l’entrée en vigueur de la clause de cessation à juin 2013
Camp de l'ONU à Goma source: theguardian
En effet la clause de cessation ne vise pas les Rwandais qui ont quitté le pays des Mille Collines après 1998 par crainte d’être persécutés. Michel Cavinatio a expliqué que l’article 1C de la Convention de Genève dispose que quand les conditions qui ont amené des réfugiés à quitter leur pays d’origine ont cessé d’exister, en l’occurrence « une guerre civile avec des conflits armés », on peut appliquer la clause  de cessation. En ce moment, « il n’y a plus de guerre civile », donc il y a lieu d’appliquer cette clause. Comme on peut lire dans un document sur la stratégie globale du HCR relative à la question des réfugiés rwandais, le HCR est d’avis que : « (…) le Rwanda a connu des changements rapides, fondamentaux et foncièrement positifs. Le pays a profondément évolué depuis Ie génocide de 1994 et bénéficie aujourd’hui d’un niveau essentiel de paix et de sécurité. Des efforts considérables ont été déployés pour favoriser la réconciliation. Des mesures importantes ont été adoptées en direction de la démocratie, dont l’adoption d’une nouvelle constitution et la tenue d’élections législatives et présidentielles. »
Procédure d’exemption
Cependant, il se peut que les personnes concernées par la clause, soient encore confrontées à un problème de protection. Pour eux, tous les pays qui ont des réfugiés sur leur territoire doivent assurer une garantie ultérieure, notamment une procédure d’exemption. Cette dernière implique que s’il y a un risque de problème, une personne qui a fui entre 1959 et 1998, peut demander à ce que son dossier soit considéré et que donc l’Etat partie examine son cas.  Une demande d’exemption a un effet suspensif sur l’application de la décision de cessation. « Dès lors, les réfugiés rwandais qui ont déposé une telle demande mais dont la requête n’a pas encore été examinée à la date d’entrée en vigueur de la cessation conserveront leur statut de réfugiés en attendant le résultat final de la procédure d’exemption, une fois toutes les voies de recours épuisées ». Le comité du HCR s’assurera donc que chaque Etat mette en place cette procédure d’exemption qui est en résumé une étude au cas par cas des dossiers.
Pour illustrer le nombre de personnes concernées par cette clause, Michel Cavinato a fait part des chiffres en ce qui concerne le nombre de réfugiés, non naturalisés, présents en Europe en 2010. Selon les statistiques, il s’agirait de 6257 réfugiés rwandais au total, dont, entre autres, 1353 en Angleterre, 891 en Belgique et 50 aux Pays-Bas. En conclusion, la majorité de ceux qui ont fui entre 1959 et 1998 jouissent actuellement de la citoyenneté européenne. En 2010 il y aurait eu, toujours selon les statistiques, 400 demandes d’asiles en Belgique et 300 en France.
La clause n’implique pas que le Rwanda soit un pays sûr
Le représentant du HCR a tenu à calmer les inquiétudes en soulignant que la clause n’avait pas pour conséquence de signifier que le Rwanda doive être considéré comme « un pays sûr ». Effectivement, dans sa stratégie globale, le HCR évoque « les diverses inquiétudes émises par différents acteurs comme l’espace restreint accordé à l’opposition politique dans le pays ».
 L’entrée en vigueur de la clause reportée à juin 2013
« Compte tenu du stade actuel de mise en œuvre de la stratégie globale ainsi que des demandes des pays d’asile souhaitant une plus grande souplesse dans l’application de la cession au niveau national », l’entrée en vigueur de la clause de cessation a été repoussée à juin 2013. Dans ce cadre, Michel Cavitano a déclaré lors de la conférence que toutes les informations concernant la situation actuelle des réfugiés rwandais étaient les bienvenus et qu’il transmettrait ces données « au plus haut niveau »
«  Il y a-t-il une réelle intention de se replacer sous la protection du Rwanda ? »
Maître Charles Ntampaka a quant à lui expliqué que l’intention d’une personne de retourner dans son pays d’origine prime dans nombreuses conventions. Celle-ci doit se révéler d’un geste sans ambiguïté de se replacer sous la protection du pays d’origine et peut, dans certains cas, être déduite d’une demande de passeport à l’Ambassade de son pays d’origine. Etant donné que le premier point de la stratégie globale du HCR est : la promotion du rapatriement librement consenti et la réintégration des réfugiés rwandais au Rwanda, deux questions se posent : primo il y a-t-il une réelle intention de se replacer sous la protection du Rwanda et secundo, il y a-t-il un suivi une fois arrivé au Rwanda ?
Par ailleurs, l’avocat se pose les questions suivantes
  • Il y a-t-il eu une enquête objective auprès de ceux qui refusent la protection du pays d’origine ?
  • Les changements de conditions ont-ils été acceptés au cas par cas ou est-ce que cela s’est fait d’une manière systématique ?
  • Il y a-t-il un changement d’attitude dans l’accueil de réfugiés pour dire que les circonstances de départ ont changé ?
  • Qu’en est-il des personnes gravement traumatisées, suite à une situation vécue durant la période de 1959 à 1998 ? (c’est ainsi qu’il a notamment relaté comment une personne gravement traumatisée a déjà fait l’objet d’une expulsion)
  • Quid des personnes qui ont été emprisonnées ? Quel est leur sort si elles n’ont pas encore de statut de réfugié ?
  • Quid si rien n’a été fait pour rendre justice à la famille des réfugiés ?
  • Les personnes dont les biens ont été saisis parce qu’ils étaient proches de l’ancien pouvoir, auront-elles la possibilité de se voir restituer ces biens ?
  • Quid de ceux qui ont été jugés plusieurs fois en Gacaca alors qu’ils ont déjà été acquittés ?
Au vu de ces éléments il faudrait selon lui que :
  • L’examen des changements des conditions de départ soit fait au cas par cas
  • Le grave traumatisme de certaines personnes suite à une situation vécue soit pris en considération
  • Une enquête soit faite qui établisse une image fiable et objective de l’état actuel des choses dans le pays d’origine
  • Les raisons personnelles de ne pas retourner au Rwanda soient entendues avant l’application de la clause de cessation
  • Un suivi ait lieu de ceux qui sont retournés au Rwanda
« Les responsables de l’exil encore au pouvoir »
Gerald Gahima
Par Skype-Conférence, Gérald Gahima du Rwanda National Congress(RNC), ancien procureur général et vice-président de la Cour Suprême du Rwanda, lui-même en exil, a exprimé son désaccord face à la décision du HCR d’appliquer la clause de cessation du statut de réfugié. Selon lui, il n’y a pas de changements des conditions qui ont poussé les Rwandais à l’exil. En effet selon lui les responsables de cet exil sont encore au pouvoir. « On donne l’impression que tout se passe bien au Rwanda, alors qu’il n’y a pas de changement, au contraire ça ne fait que s’empirer ».
« La situation politique ne permet pas de s’épanouir »
Boniface Twagirimana membre du comité exécutif des FDU-Inkingi au Rwanda, a déclaré, également par Skype-Conférence, que plusieurs personnes étaient emprisonnées, dont la présidente des FDU-Inkingi, Victoire Ingabire Umuhoza. Il a également exposé d’autres faits comme l’attaque de civils membres d’un autre parti que le FPR, l’arrestation le mardi 31 janvier de la trésorière du parti d’opposition PS Imberakuri et ce pour le simple fait qu’elle est dans un parti d’oppostion, des jeunes renvoyés de leur travail car membre de l’opposition et Boniface Twagirimana lui-même car membre des FDU-Inkingi. En bref, les Rwandais sont obligés d’adhérer et de contribuer au FPR par force.
Ces faits ont par ailleurs été dénoncés dans plusieurs rapports comme celui de l’Amnesty International ou encore de plusieurs diplomates. La question qui se pose est dès lors : « Comment peut-on accepter la clause de cessation face à tout ceci ? » étant donné que la situation politique ne permet pas aux rwandais de s’épanouir.
 « On parle de changements, mais lesquels ? »
Eustache Habumuremyi, Secrétaire Général de l’association Jambo asbl, a rappelé la campagne qui avait été organisée en décembre 2011 par l’initiative du département Mpore de son association. Ensuite, il a, en tant que jeune, dénoncé la prise de décisions sans motivations. « On parle de changements, mais lesquels ? Oui, en 1994 il y a eu une guerre civile  qui a engendré des génocides mais les changements sont à chercher au niveau des droits de l’homme. Est-ce que cette situation de violations graves des droits de l’homme a changé ? » « Non ! » s’est-il exclamé, « elle a changé de forme. Maintenant c’est l’Etat qui ôte les vies, avant c’était des personnes quelconques». Il a encore continué en dénonçant l’absence au Rwanda de séparation des pouvoirs qui se manifeste dans la soumission du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif par exemple. Selon lui certains réfugiés souffrent encore de nombreux traumatismes et le fait de pouvoir être rapatrié à tout moment renforce ce traumatisme.
« La fin du statut de réfugié signifie la fin du peuple rwandais »
Joseph Matata du Centre de Lutte contre L’Impunité et l’Injustice a dénoncé les exactions commises jusqu’à ce jour par le FPR, qui selon lui est « un groupe de mafieux qui agit au nom d’un Etat ». Il a également exprimé son incompréhension face à la fermeture d’un bureau d’une association des droits de l’homme à Kigali par le gouvernement rwandais ainsi que l’absence du droit à l’alimentation étant donné qu’on chasse par exemple les paysans de leur terre. Pour lui la fin du statut de réfugié est égale à « éliminer les rescapés du peuple qu’on a décidé d’exterminer à l’instar du peuple indien. »
Pour terminer Faustin Twagiramungu, ancien premier ministre du Rwanda, a expliqué que ce qu’il a fallu une guerre pour que les réfugiés tutsis qui ont fui entre 1959 et 1973 retournent au Rwanda, a été une guerre. En 1989, a-t-il déclaré, une conférence sur les réfugiés à eu lieu à Kampala et lors de ce colloque le gouvernement rwandais a décrété que les Rwandais pouvaient rentrer sans conditions et que leurs propriétés leur seraient restituer. Dans la même année en Europe une organisation de rwandais exprimait son désaccord face au retour au Rwanda car ils n’avaient pas de pouvoir. « Nous on ne veut pas rentrer avec le pouvoir » a-t-il continué. « Les réfugiés ont subi des souffrances et ce sous le regard de la Communauté Internationale en 1996 », comme on peut également le lire dans le Mapping Report de l’ONU.
Twagiramungu demande dès lors au HCR d’aider à introduire le cas une juridiction en ce qui concerne la dignité des réfugiés qui font l’objet du Mapping Report. Face à cette demande, le représentant du HCR a répondu que le HCR n’était pas un organe politique.
La conférence s’est terminée avec un « Murakoze cyane »(merci beaucoup) du représensant du HCR qui a de nouveau assuré que tous les documents qui lui avaient été remis seraient transmis au plus haut niveau.
ISCID asbl a été créée pour perpétuer les idéaux de Seth Sendashonga, un ancien démocrate rwandais assassiné le 16 mai 1998 à Nairobi, après avoir quitté le Rwanda suite à des menaces parce qu’il était contre le régime en place. Son combat politique avait été illustré par la lutte pour un Rwanda démocratique. Chaque année, l’association organise des colloques ou conférences-débat sur des thèmes divers, l’objectif étant de promouvoir la réflexion aux droits et aux responsabilités du citoyen, à la démocratie et au respect des droits de l’homme.

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