Par Hervé Cheuzeville 26 décembre 2011
Victoire Ingabire Umuhoza est une femme rwandaise de 43 ans, mère de trois enfants. Elle vient de passer son deuxième Noël consécutif dans une geôle du Rwanda. Son procès est en cours, à Kigali. Son crime ? Celui d’avoir osé défier le pouvoir sans partage de l’homme implacable qui préside aux destinées de ce petit pays d’Afrique centrale depuis la fin de l’épouvantable guerre qu’il avait lui-même déclenché. Cet homme, on l’aura compris, c’est le général-président Paul Kagame, responsable en outre de deux guerres d’invasion et de pillages qui firent des millions de morts dans le grand pays voisin, le Congo/Zaïre.
Victoire aurait pu continuer à vivre tranquillement aux Pays-Bas, où elle fit ses études supérieures et où elle menait une brillante carrière au sein d’une grande société. Cependant, même loin de son pays natal, elle se souciait de la situation qui y prévalait. Elle s’est engagée au sein de l’opposition à la dictature, très active au sein de la diaspora rwandaise. En avril 2006, elle fut élue présidente du Front Démocratique Uni, une plateforme rassemblant tous les mouvements opposés au régime de Kagame et de son Front Patriotique Rwandais. Cet engagement politique croissant l’amena à démissionner de son poste pour tenter d’aller mener le combat pour la démocratie au Rwanda même. Ce retour à Kigali, en janvier 2010, après seize années d’exil, marqua le début d’un harcèlement incessant qui tourna à la persécution et qui la conduisit finalement en prison. Quelques jours après son arrivée, elle se rendit au mémorial du génocide, ou elle demanda que tous les perpétrateurs de crimes de masse soient traduits en justice, y compris ceux appartenant au pouvoir actuel. Elle osa en outre revendiquer le droit à la mémoire pour toutes les victimes du génocide. Cela lui valut une première arrestation, avant d’être libérée le lendemain, tout en étant placée sous contrôle judiciaire, avec interdiction de quitter la capitale. Une campagne fut aussitôt lancée contre elle, l’accusant de « négationnisme » et de « divisionnisme ». Elle ne se laissa pas intimider pour autant et poursuivit sa tentative pour se présenter en candidate d’opposition aux élections présidentielles d’août 2010.
Sans doute avait-elle sous-estimé la nature profondément liberticide du régime de Kagame. Le dictateur ne pouvait en aucun cas tolérer une opposition véritable et encore moins une voix remettant en cause la version officielle de la tragique histoire récente du pays. Pourtant, Victoire Ingabire ne pouvait pas ignorer le sort réservé aux dissidents et aux opposants. Combien d’hommes politiques n’ont-ils pas été liquidés par les tueurs de Kagame, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, depuis 1994 ? Combien ont été arrêtés et emprisonnés, sous l’habituelle accusation de négationnisme ou de divisionnisme ? Combien d’étrangers, devenus des témoins gênants, ont payé de leur vie le fait d’en savoir trop sur ce régime, et d’avoir tenté d’informer le monde ? Je pense en particulier à tous ces missionnaires assassinés par les agents du pouvoir. Se souvient-on du père Claude Simard, tué dans la nuit du 17 au 18 octobre 1994, ou de son compatriote le père Guy Pinard, abattu alors qu’il célébrait la messe, sous le regard horrifié de ses paroissiens, le 2 février 1997 ? Ce missionnaire québécois avait eu le tort de connaître la vérité sur l’assassinat de trois humanitaires espagnols de Médecins du Monde, ainsi que sur le massacre de 80 habitants du village où il œuvrait. Je pense également au père Vijeko Kuric, franciscain croate tué de sept balles, en pleine rue, le 31 janvier 1998, et à tant d’autres encore. Ces religieux étrangers connaissant parfaitement la langue de leurs ouailles sont considérés avec suspicion par le dictateur Kagame.
Si des étrangers peuvent être ainsi supprimés, dans l’impunité la plus totale, Victoire Ingabire devait être consciente des risques qu’elle prenait, en tant que Rwandaise rentrant d’exil pour défier le général-président. Sa candidature à l’élection présidentielle ne fut pas validée, mais la « justice » rwandaise continua cependant à s’acharner sur cette femme courageuse. Après plusieurs mois de résidence surveillée, elle fut jetée en prison, le 14 octobre 2010, pour « organisation de groupe terroriste ». Elle y croupit encore.
Paul Kagame, qui avait publiquement annoncé que sa rivale serait arrêtée, quelques jours avant qu’elle soit effectivement interpelée, n’a jamais hésité à s’impliquer directement aux côtés de l’accusation. Il a depuis lors multiplié les allégations mensongères contre cette femme bien incapable d’y répondre. Le 12 décembre dernier, lors d’une visite officielle en Ouganda, le dictateur rwandais a osé affirmer que Victoire Ingabire « avait en grande partie reconnu la plupart des accusations portées contre elle » à savoir la trahison, le terrorisme et l’idéologie du génocide. Il ajouta même que ses avocats l’avaient abandonnée, alors que cela n’était pas le cas.
Tout cela n’a pas empêché qu’en France un tapis rouge soit déroulé pour accueillir Paul Kagame, en septembre 2011. Ce dictateur rwandais n’a eu pourtant de cesse, depuis son arrivée au pouvoir, de s’en prendre justement à la France, allant jusqu’à accuser ses dirigeants et les officiers de son armée d’avoir pris une part active au génocide. Nicolas Sarkozy a-t-il évoqué le sort de la courageuse opposante rwandaise, lors de ses entretiens avec Paul Kagame ? Qu’il me soit permis d’en douter.
Victoire Ingabire a donc passé son second Noël en prison, vêtue de l’uniforme rose que portent les prisonniers, au Rwanda. Ses partisans et ses amis ne l’ont pourtant pas oubliée. De plus en plus, ils comparent la dame de Kigali à une autre femme courageuse, Aung San Suu Kyi, connue dans le monde entier pour son combat pacifique contre une dictature tout aussi implacable. Victoire Ingabire semble faire preuve de la même détermination à rétablir l’Etat de droit et la démocratie. Comme la dame de Rangoon, elle est persuadée de venir un jour à bout de l’arbitraire et de la dictature. Souhaitons-lui de devenir la prochaine lauréate du Prix Nobel de la Paix, comme le fut Aung San Suu Kyi il y a vingt ans.
Il est sûr que pour Victoire, même au fond de sa cellule, la victoire soit certaine !
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