Saturday, December 17, 2011

Rwanda/RD Congo : Bukavu se ravitaille le jour, Kamembe la nuit

Par Sehene Ruvugiro



Du lever au coucher du soleil, les habitants de Bukavu vont et viennent à Kamembe au Rwanda pour s'approvisionner à bon prix en denrées alimentaires. En revanche les Rwandais préfèrent traverser nuitamment la Rusizi qui marque la frontière pour éviter de payer les taxes sur les produits achetés en RD Congo.
Ruzizi I, Rusizi II, ou Kamanyola, trois postes frontaliers entre le Rwanda et la RD Congo connaissent des va-et-vient intenses du lever au coucher du soleil. Femmes, hommes, enfants de tous âges défilent toute la journée d'un côté à l'autre de la Rusizi, principal déversoir du lac Kivu qui marque la frontière entre les deux pays. Munis de paniers, cartons ou poussant des brouettes une dizaine de milliers d’habitants de Bukavu traversent chaque jour la frontière -Rusizi, Kamanyola – pour se ravitailler en denrées alimentaires à Kamembe pour la consommation familiale ou pour le commerce. "Au Rwanda, les denrées alimentaires coûtent moins cher. Un kilo de viande acheté à 2.200 Frw (3.5$) est revendu à 6$ chez nous", témoigne Fatou Nyanzira de Bukavu.
 


Tous les jours, du matin au soir, le marché de Kamembe est plein à craquer. Des étalages de patates douces à ceux de farine de manioc, en passant par les légumes, les petits poissons "sambaza", la viande …attirent de nombreux clients et attisent les débats sur les prix. "Beyi gani hapa (Ici c’est combien)? ", "punguza (diminue)", … Le swahili est devenu l'outil de rapprochement entre les deux villes.

Les Congolais du Sud Kivu regrettent l’insécurité causée par la présence des hommes en armes qui empêchent les agriculteurs de produire alors que la province était auparavant le grenier à vivres de la région. "Heureusement que nos frères du Rwanda nous alimentent", se félicite Bosco Kulimushi de Kamanyola. Pour faciliter les échanges légaux, les douanes donnent un jeton aux habitants des régions frontalières. "Une même personne peut traverser autant de fois que le lui permettent les heures de la journée", note un douanier de Rusizi.

Trafics de nuit

La nuit, à partir de 20h, des ombres furtives traversent les eaux calmes de la Rusizi. Sur des embarcations de fortune, des Rwandais viennent alors s'approvisionner en RDC. Ces voyages nocturnes alimentent un commerce frauduleux de bières comme la grande Amstel du Burundi via Uvira, de liqueurs, de pagnes, de pierres précieuses aussi bien que du charbon de RDC. 
Profitant de la nuit, ces commerçants contournent les douanes. "C’est devenu presque une habitude ici. Puisque à Bukavu il n’y pas de contrôle sévère comme chez nous, les commerçants se ravitaillent ou exportent frauduleusement, c’est pourquoi ils sont actifs au cours de la nuit", avoue un jeune homme, assis au bord la Rusizi. Un villageois de Mururu, un secteur riverain de Bukavu affirme que "des passeurs de Bukavu amènent les marchandises à bord des pirogues et les distribuent aux différents dépôts de Kamembe".
Les fraudeurs rwandais allèguent des taxes exorbitantes imposées au Rwanda qui les poussent à contourner les douanes pour réaliser des bénéfices. "Si on revoyait à la baisse les taxes douanières, la fraude disparaitrait très vite", estime un commerçant grossiste à Kamembe. Pour Jean Bosco Ndabananiye, chargé des affaires sociales dans le secteur Mururu, "contrôler la fraude demande des mesures draconiennes et ininterrompues de la part de l’autorité locale et l’Office rwandais des recettes, (Rwanda Revenue Authority)". Mais c’est à leurs risques et périls que les fraudeurs s’engagent. "Au Rwanda, les douaniers et la police locale nous font la chasse. Ils se saisissent parfois de nos marchandises… Plus d’une fois, on est obligé de repartir de rien…", avoue un Rwandais sexagénaire qui se rappelle avoir commencé ce commerce frauduleux à l’âge de… 16 ans. 

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